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Bulletin Numismatique n°231 47 Provoqué par le régime libéral8, une partie du clergé prend fait et cause pour les Bourbons ; les administrations locales, en particulier les maires sont remplacés car ils sont suspectés de rester fidèles à l’ancienne dynastie. Surtout, des actes qualifiés de séditieux par les autorités se produisent en nombre, parmi lesquels la diffusion d’images d’Henri V figure en bonne place. Car c’est une guerre de symboles qui s’engage avec le pouvoir libéral. Laurent Morival lui réserve une place dans son analyse, notamment en relevant que « les médailles distribuées en 1831-1832 sont en cuivre ou en plomb. Elles sont parfois munies d’une bélière pour pouvoir les attacher. Elles sont distribuées par les nobles au moment de l’enrôlement des « insoumis » dans les bandes armées ou bien tout simplement elles constituent des objets de propagande pour une population qui ne sait souvent ni lire ni écrire. (…) Malgré la répression et l’échec de la duchesse de Berry, elles circulent toujours durant toute la période de la monarchie de Juillet. Les ruraux les montrent et les exhibent avec fierté »9. D’autres objets de la vie quotidienne ont une fonction identique et portent des inscriptions rappelant l’attachement de leur propriétaire aux Bourbons. « Tous ces signes et insignes séditieux entretiennent « l’amour du roi » selon l’expression de Stéphane Rials »10. Or, il faut faire l’hypothèse que la diffusion de ces images de propagande, non seulement en cuivre et en plomb mais aussi en argent, souvent d’une qualité de frappe absolument irréprochable, représente un phénomène tangible, et visible, y compris par le pouvoir central. Le volume produit est sans doute significatif : l’exploitation des archives de CGB permet d’identifier, par exemple, plus de 80 exemplaires de un franc à l’effigie d’Henri V, au millésime 1831 ; 33 modules de 5 francs datés 1831 et 1832. En tout, presque 200 exemplaires peuvent être recensés, du 1/2 franc jusqu’aux 5 francs11. 8 Ibid p 124 par exemple, une « circulaire officielle du 23 février 1831 [demande] de rajouter au verset Domine salvum fac regem, les prénoms du souverain, chose qui ne s’est jamais faite, même au temps de Charles X ! Ces changements dans les prières liturgique sont théoriquement déterminés par l’autorité épiscopale. » 9 Ibid p.61 10 Ibid p.62 11 Dans le Gadoury 1989, il s’agit des références 402a, 403, 404, 405, 406 (1/2 franc) ; 451 (1 franc) ; 517, 518, 519 (2 francs) ; 649, 650, 651 (5 francs) Ces belles monnaies, qui ne sont pas confidentielles, bien au contraire12, envoient un message très clair à quiconque les prend en main : Henri V est bel et bien prêt pour le trône, « frapper monnaie » est un attribut régalien qui est complètement maîtrisé, dans une esthétique générale très proche de Louis XVIII et Charles X. Il est même tentant de rapprocher le portrait en buste de certains écus de Louis XVI, dits « aux branches d’olivier ». Ce faisant, le programme politique est facile à appréhender : il est contre-révolutionnaire, et il est assumé. Dans l’arsenal des réponses, figurent bien sûr le levier pénal, ainsi que l’action militaire. Comme à Nantes, on assiste dans les départements de l’Ouest à un déploiement de troupes régulières13, et une mobilisation accrue mais disparate de Garde nationale14. Néanmoins il conviendrait de ne pas sous-estimer l’impact de la monnaie et des médailles. De manière purement circonstancielle, les ateliers de Nantes, mais aussi de la Rochelle, deviennent pleinement opérationnels et s’occupent de la refonte des écus de 6 livres, opération qui avait pris du retard dans la région. Ils sont donc capables de frapper plus de pièces de 1 et 5 francs au cours des 5 premières années du règne de Louis-Philippe que sous Charles X de 1824 à 1830 (10 millions de modules de 5 francs contre 6 ; 500 000 pièces de 1 franc contre 210 000 environ). Cette mise en circulation, supérieure, sur ce territoire, assure une diffusion opportune du portrait du souverain mécaniquement plus importante. Et puis la médaille de 1832 semble être une autre façon de répondre de la part de l’État. Bien sûr, il ne s’agit pas de « convaincre » les légitimistes – il en faudrait sans aucun doute un peu plus. Mais face à la propagande « henriquinquiste », il s’agit de montrer à ses propres partisans, d’abord à Nantes mais bien sûr au-delà, que Louis-Philippe est bel et 12 L’Ami de la Charte du 13 juillet 1831 relate ainsi une information, inédite à notre avis : « les pièces de 5 francs à l’effigie de Henri V ont été frappées à St-Pétersbourg ; elles ne peuvent y avoir été fabriquées sans l’autorisation expresse de Nicolas ; et, si Nicolas a donné cette autorisation, cet acte est une sorte de reconnaissance des droits de ce jeune prince, et semblerait indiquer que Mme de Berry a quelque droit de compter sur l’ex-sainte-alliance, et que cet espoir l’encourage dans ses projets et augmente son audace ». J. de Mey et B. Poindessault, dans leur répertoire de numismatique française contemporaine, en 1976 émettaient cette hypothèse : « d’après certains auteurs, ces pièces auraient été frappées à Londres. Pourtant la preuve de cette assertion n’a jamais été apportée et il y a lieu de noter que la signature GC figurant sur ces monnaies, qui ne correspond à aucun graveur connu à la Monnaie de Londres, pourrait être celle de G. Cerbara, graveur de la Monnaie de Rome à cette époque ». La question demeure donc ouverte. 13 Op. cit. p.130 et s. 14 Ibid p. 134 et s. LES 3 GLORIEUSES À NANTES, LES MÉDAILLES ANNIVERSAIRES DE 1831 ET 1832 ENTRE COMMÉMORATION ET PROPAGANDE POLITIQUE - PARTIE 3

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