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Bulletin Numismatique n°231 45 à la révolte. Égoïstes, indemnisés seuls de pertes que tous ont éprouvées dans le cours de nos révolutions ; gratifiés d’emplois lucratifs sous le régime qui vient de finir, ils regrettent encore d’odieux privilèges. Ils appellent la guerre étrangère et le retour par la force d’un ordre de choses qui vous tenait dans le servage et l’avilissement. Par essence, ils appartiennent au pouvoir, quel qu’il soit. Après avoir combattu celui-ci, on les verra dans peu, comme sous l’Empire, capter ses faveurs ; repoussez leurs conseils intéressés et funestes. Que désormais les hommes de tous les partis restent en paix sur cette terre, où la nécessité les a forcés de vivre ensemble ; que les factions se taisent et se fondent dans l’intérêt général ; que toutes les voix se réunissent pour bénir le Père de la Patrie, le Roi des Français ». Le pouvoir libéral souhaite donc « rayonner » au-delà des frontières de la cité des Ducs à l’occasion de la commémoration de la Révolution de Juillet, dans une entreprise de propagande politique. LA CONSÉCRATION DE LA GARDE NATIONALE Par ailleurs, la présence de ces drapeaux de la Garde nationale s’éclaire encore un peu plus par une lettre du ministre de l’Intérieur, le comte de Montalivet au Préfet de Loire-Inférieure et datée du 14 juillet 1832. Il y indique : « M. Le Préfet, ainsi que l’année dernière, la Garde nationale désire réunir dans un banquet patriotique diverses députations sans armes, de gardes nationaux de Maine-et-Loire, d’Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de la Vendée. Une souscription s’ouvre, à cet effet, par les soins de M. Le Maire de Nantes, et vous me demandez mon adhésion à cette solennité qui emprunte un nouvel intérêt des circonstances. Cet assentiment, je le donne bien volontiers, Monsieur le Préfet. Les braves Gardes nationales de l’Ouest viennent de prouver que ce n’était pas seulement à de semblables réunions qu’elle se plaisant à prendre part. Elles se sont empressées d’accourir partout où il y avait du danger, et le repos dont jouit le pays est dû, en grande partie, à leur énergie et à l’activité de leur zèle ». Dans la foulée, le 15 juillet, le Préfet écrit au Maire de Nantes les lignes suivantes : « (…) grâce au courage, au patriotisme des braves Gardes nationales du département et au concours de tous les bons citoyens et de l’armée, des tentatives insensées ont été déjouées en peu de jours. Cette fête, en resserrant les liens qui unissent les bons Français, doit contribuer à déjouer les intrigues des ennemis de nos institutions qui voudraient, avant tout, semer la division dans nos rangs. ». Le graveur a donc choisi – ou on lui a commandé - de représenter la réunion de 5 drapeaux – tricolores – de la Garde nationale de chacun des départements du Grand Ouest, la hampe surmontée d’un coq étant un indice très précis de son appartenance. Ces délégations étaient présentes en 1831, en 1832, le choix est fait de les mettre en valeur. Elles sortent du rôle de soutien pour apparaître désormais au premier plan. Tout en tenant un discours de continuité – les éléments de devise « union et force », « patrie liberté » sont certes maintenus comme des fils directeurs -, mais on choisit, de fait, de braquer les projecteurs sur la Garde nationale, reconnaissance de son action entre mai et juillet contre, en fait, le complot de la duchesse du Berry et la tentative, avortée, d’insurrection– qui sera brièvement abordée plus loin. Car il convient de pointer quelques éléments concernant l’esthétique de cet avers. Tout d’abord, nous devons constater qu’il se rapproche fortement de plusieurs médailles frappées en l’honneur de la Garde nationale, et notamment de la remise de leurs drapeaux par Louis-Philippe lui-même, le 29 août 1830, notamment 2 modèles conçus l’un par Armand Auguste Caqué4 et l’autre par Louis-Charles Bouvet- dont c’est le premier travail, mais pas le dernier, qui retient l’attention5. Des déclinaisons plus locales peuvent parfois être identifiées, comme cet exemplaire consacré à la cérémonie spécifique, à Lyon, en présence d’un des fils de Louis-Philippe. Or, à l’échelle non plus locale, mais du pays, à côté de la Charte, du coq, la Garde nationale constitue bel et bien un autre pilier du régime mis en place par le roi des Français. Héritage direct de la Révolution française, dissoute par Charles X en 1827, sa (re)formation a été l’une des premières aspirations du mouvement de juillet 1830. Louis-Philippe compte sur cette milice populaire, et elle se montra un auxiliaire précieux à plusieurs occasions, par exemple dans le maintien de l’ordre à Paris en décembre 1830 pendant le jugement des ministres de Charles X. En offrant cette reconnaissance centrale à la Garde nationale, la médaille consacre définitivement l’objet : il s’agit plus de rendre hommage à une entité dont le rôle est désormais déterminant dans cette période qu’aux hommes et femmes qui ont mené l’insurrection. On compte désormais, en fait, sur elle pour repousser les ennemis « extérieurs ». À Nantes, ce sujet est d’importance, peut-être plus qu’ailleurs. En effet, plusieurs délibérations du Conseil municipal la traitent, à la fois pour des décisions budgétaires et pour en fixer son organisation. Ainsi, plusieurs séances du Conseil entre avril et juin 1831 y sont consacrées pour partie, d’abord pour fixer les conditions du recensement, puis pour affecter les différentes rues et quartiers de la ville à des bataillons, et enfin pour décider de la création d’une artillerie composée de quatre compagnies de 90 hommes, lors du Conseil du 3 juin 1831. On peut d’ailleurs y lire que son objet pourra être de repousser une attaque maritime, preuve que l’on prend très au sérieux la possibilité d’une ingérence étrangère dans une tentative de rétablissement des Bourbons. Quelques mois plus tard, en 1832, on retrouve des délibérations pour la construction d’une salle d’armes, ou encore d’un parc pour stocker les pièces d’artillerie – pour ces deux exemples, il s’agit de la séance du 8 février. 4 On lui doit notamment l’impressionnante « galerie numismatique des rois de France », série de 73 médailles en bronze au module de 51mm gravées de 1835 à 1840, 5 On lui doit notamment le module de 5 Francs tête nue de Napoléon III (1853-59) LES 3 GLORIEUSES À NANTES, LES MÉDAILLES ANNIVERSAIRES DE 1831 ET 1832 ENTRE COMMÉMORATION ET PROPAGANDE POLITIQUE - PARTIE 3

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