Bulletin Numismatique n°222 33 LA PREMIÈRE MONNAIE NANTAISE POUR LA SAINTE LIGUE (1590) QUAND CHARLES REMPLACE HENRI En période de guerre, plus encore qu’en temps normal, la frappe monétaire ne peut attendre car celle-ci permet aux belligérants de tirer d’importants profits et ainsi trouver les subsides nécessaires à l’entretien de leurs troupes notamment. À Nantes au début de l’année 1590, il faut trouver beaucoup d’argent pour financer le renforcement des défenses de la ville par la construction de nouvelles fortifications. Aussi, la Monnaie de Nantes n’attend pas la validation du nouveau Parlement de Bretagne pour commencer à émettre ses premiers quarts et huitièmes d’écu d’argent au nom de Charles X. En effet, les registres de délivrance indiquent que les dernières pièces au nom d’Henri III sont mises en circulation le 30 décembre 15893 et que les premières monnaies à la titulature de Charles X sont émises dès le 8 janvier suivant4 ! Moins de dix jours séparent les deux délivrances, il ne s’écoule donc que trois semaines entre la décision prise à Paris (15 décembre 1589) et sa mise en œuvre concrète à Nantes (8 janvier 1590). Or, pour que les monnayeurs puissent commencer à frapper les nouvelles pièces, il faut que le tailleur ait d’abord rempli son office. Côme Ménard, tailleur de la Monnaie de Nantes5, a donc nécessairement commencé la gravure de ses premiers coins au nom de Charles X quelques jours avant la Noël 1589, pendant que les monnayeurs frappaient les ultimes pièces au nom d’Henri III. Pour tenir de tels délais, et éviter toute interruption de service, il fallait que la gravure des premiers coins soit extrêmement rapide. Par rapport aux pièces d’Henri III, que Ménard a l’habitude de graver depuis une dizaine d’années, seul le nom du monarque change. Cependant, tous les caractères nécessaires à la gravure de la nouvelle légende étaient déjà présents sur les pièces d’Henri III. De même, les motifs demeurent inchangés : en effet la croix fleurdelisée au droit et l’écu couronné au revers sont les mêmes sur les quarts et les huitièmes d’écu d’Henri III et de Charles X. Aussi, Côme Ménard peut-il tout simplement réemployer les poinçons et l’ensemble du matériel de gravure qu’il utilisait jusqu’alors. Un graveur rompu à l’exercice et un outillage identique, voilà ce qui permet à la Monnaie de Nantes de produire aussi vite ses premières pièces pour Charles X. Au surplus, il n’est pas nécessaire de graver de nouveaux coins de revers, car seules les matrices de l’avers sont concernées par la mise à jour. Compte tenu des délais, et du coût de chaque matrice, on n’est pas étonné que Côme Ménard soit allé jusqu’à réemployer un coin dont il avait déjà commencé la gravure au nom d’Henri III. En effet, sur l’exemplaire présenté ici, on voit distinctement au début de la légende les lettres HE, pour HENRICVS, sous le CA de CAROLVS (un N apparait aussi sous le R, mais beaucoup moins distinctement). On imagine Côme Ménard qui, ayant entamé son travail habituel, tracé 3 MICHEL Olivier, Les émissions monétaires en Bretagne pendant la Ligue (1578-1599), thèse de doctorat d’histoire, Yves Coativy et Philippe Jarnoux (dir.), Université de Bretagne Occidentale, Brest, 2022, 520 p. Voir p. 430. 4 MICHEL Olivier, Les émissions… op. cit., p. 433. 5 SALAÜN Gildas, « Côme Ménard (1553-1604), maître orfèvre et graveur à la Monnaie de Nantes », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, t. 155, 2020, p. 115-140. Plus d’infos ici : https://www.cgb.fr/come-menard-1553-1604-maitre-orfevre-et-graveur-dela-monnaie-de-nantes-salaun-gildas,lc195,a.html ses lignes-guides, insculpé les premiers caractères, reçoit les nouvelles consignes communiquées par la voix de Jean Pillays, garde de la Monnaie. Sur le champ, Ménard reprend son travail : il réchauffe le coin commencé et y poinçonne les nouvelles lettres. Ce faisant, il rectifie le nom de l’émetteur et marque pour la première fois celui du roi de la Ligue. Détail du début de la légende. Les lettres CA remplacent HE. © Suffren numismatique ; coll. part. Nul doute donc que nous sommes face à la première monnaie gravée à Nantes à la titulature de Charles X, l’une de celles mises en circulation après la délivrance du 8 janvier 1590, l’une des seules frappées du vivant du cardinal-roi. Gildas SALAÜN
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