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Bulletin Numismatique n°208 31 Fig.2 Remarquons en outre que ce jeton des trois frères de Lor- raine-Chaligny fut, comme beaucoup de jetons lorrains, du- caux ou impériaux, utilisé comme monnaie de substitution, à défaut de vraies monnaies dont la France empêchait la fabri- cation. L’évêque de Verdun exprime alors son droit de mon- nayage à travers des jetons. D’où l’existence d’exemplaires en argent et en cuivre, ces derniers souvent usés après avoir beau- coup circulé (fig.2, exemplaire en cuivre). Il convient donc à mon avis de classer désormais ce jeton verdunois, millésime 1617, année du sacre de l’évêque Charles, non plus à l’épiscopat de ce dernier mais à celui de son frère et successeur l’évêque francophobe François (1662- 1661). En aucun cas la date de 1617 ne peut être retenue comme date d’émission du jeton mais seulement comme date symbolique 6 , ce jeton, qui est frappé mécaniquement, étant incontestablement postérieur à l’épiscopat de Charles de Lor- raine-Chaligny (1611-1622). J’émets donc l’hypothèse que l’évêque François fit frapper ce jeton à la fin des années 1620, vers 1627 et avant 1629 7 , au moment où son conflit avec la France était à son paroxysme, alors que son frère aîné Charles était encore vivant (il mourra en 1631) et que son frère cadet Henri commençait à connaître la gloire militaire. Toutefois, il a pu aussi être frappé vers 1633 au moment de l’invasion de la Lorraine ducale par la France, l’évêque François prenant alors les armes contre la France sous le commandement de son cousin le duc de Lorraine Charles IV. Cette seconde hypothèse me paraît toutefois moins vraisemblable que la première. Dans l’un ou l’autre cas, le jeton aurait sans doute été frappé à Nancy. Christian CHARLET* BIBLIOGRAPHIE CALMET 1740 : Dom Augustin CALMET, Dissertation sur les monnoies , Nancy, 1740. GIRARDOT 1982 : Alain GIRARDOT (dir.), Histoire de Verdun, Privat, Toulouse, 1982. JANÉ, STEF 2019 : Bruno JANÉ, Marion STEF, Le monnayage des princes-évêques de Verdun , Gand, 2019 LIÉNARD 1889 : Félix LIÉNARD, Monographie de la numisma- tique verdunoise, Verdun, 1889 MF 1888 : Collection MOREL-FATIO conservée au Cabinet des médailles de la BnF suite au don du propriétaire en 1888. En ligne sur Gallica. (imprimés monétaires) ROBERT 1885 : Pierre-Charles ROBERT, Monnaies et jetons des évêques de Verdun, Mâcon 1885 et Annuaire de la Société française de numismatique 1885-1886. 6 Cette date symbolique dispense de faire connaître la date réelle d’émis- sion du jeton. 7 François fait sa soumission à la France en 1629, avant de s’enfuir à nou- veau en 1635. * Avec l’aide de mon frère, le grand professeur latiniste Jean-Louis Charlet pour la traduction des légendes et l’interprétation des motifs. L’ÉNIGMATIQUE JETON VERDUNOIS DES TROIS FRÈRES, PRINCES DE LORRAINE- CHALIGNY, MILLÉSIMÉ 1617 la vallée de la Moselle. Mais cet atelier était alors en chômage 2 et il ne pratiquait que la frappe au marteau alors que notre jeton millésimé 1617 est sans conteste le produit d’une frappe mécanique. Le matériel de frappe mécanique ne sera intro- duit dans l’évêché de Verdun qu’en 1619 lorsque le nouveau maître et graveur Nicolas Marteau l’apportera d’Arches- Charleville pour faire fonctionner un nouvel atelier moné- taire verdunois à Mangiennes, Dieulouard étant alors définitivement fermé. Théoriquement, le jeton aurait pu être frappé mécanique- ment ailleurs que dans l’évêché de Verdun, à Nancy ou à Pa- ris. Mais en 1617, François et Henri de Lorraine-Chaligny étaient alors trop jeunes et non investis de responsabilités comparables à celles de leur aîné Charles 3 . François ne sera évêque qu’en 1622 et les charges ecclésiastiques, dont il était pourvu en 1617 ne l’autorisaient pas, contrairement à l’affir- mation de Dom Calmet, à mettre la mitre et la crosse dans ses armes ; quant aux abbayes hypothétiques dont il aurait pu être pourvu, selon l’illustre bénédictin, elles sont restées du domaine du virtuel et on est surpris qu’un savant comme Dom Calmet échafaude une telle théorie fantaisiste. Quant au troisième frère Henri, le marquis de Mouy, personne ne pouvait savoir en 1617 qu’il commanderait les troupes de Charles IV en 1633. Le millésime 1617 n’est donc pas celui de l’émission du jeton mais celui d’un événement majeur fai- sant honneur à la famille de Lorraine-Chaligny. Cet événement majeur, pour les trois frères, me paraît être le sacre de Charles comme évêque de Verdun en 1617. C’est à la suite de cette accession aux hautes fonctions afférentes à cet épiscopat d’empire que François pourra à son tour devenir évêque en 1622 et que le cadet Henri accédera à de hautes responsabilités militaires à la fin des années 1620 et dans les années 1630 4 . Dans ces conditions, je pense que le jeton n’a pas été frappé en 1617 mais une dizaine d’années plus tard lorsque l’évêque François est en conflit ouvert avec la France dans les années 1626-1627 car il s’oppose à la transformation de la protection militaire française en protectorat politique, notamment à l’occasion de la construction de la citadelle de Verdun décidée par Richelieu. François sera obligé de fuir de son évêché et de s’exiler à l’étranger car il est menacé d’arrestation par Riche- lieu. Foncièrement francophobe, il ira jusqu’à prendre les armes contre la France dans l’armée du duc Charles IV de Lorraine où son frère cadet Henri, marquis de Mouy, est gé- néral 5 . Le jeton prend alors tout son sens et il n’y a plus de contradic- tion entre le millésime 1617 et l’union postérieure des trois frères. L’évêque de Verdun, en l’occurrence François, ne pou- vant plus battre monnaie car Richelieu et Louis XIII s’y op- posent, émet ce jeton protestataire à l’égard de la main-mise française envahissant sur l’évêché de Verdun. Les trois Lor- raine-Chaligny font alors bloc : l’évêque François, son frère et prédécesseur l’évêque Charles que la France a contraint à la démission, enfin le cadet défenseur des droits lorrains par le glaive contre les prétentions expansionnistes françaises. Ce jeton est ainsi tout un programme d’opposition à la France. 2 Depuis 1615, suite au décri du florin d’or de l’évêque Charles prononcé par l’ordonnance de Louis XIII du 5 décembre 1614 (cf. MF 1888 n°190 et 191) 3 Né en 1604, François (1604-1662) était alors âgé de 13 ans. Son frère cadet Henri, futur marquis de Mouy, mort en 1670, était encore plus jeune en 1617. 4 L’accession de Charles de Lorraine-Chaligny à l’épiscopat de Verdun va- lorisait cette branche cadette de Lorraine-Vaudémont, elle-même branche cadette de Lorraine. 5 François sera rétabli dans ses droits d’évêque de Verdun en 1648 par le traité de Munster en Westphalie mais désormais placé sous l’autorité du roi de France du fait du rattachement de Verdun à la France consacré par ce traité.

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