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Bulletin Numismatique n°208 30 fig. 1 E n cette année 2021, la numismatique verdunoise, féo- dale pendant la période du Moyen Âge, seigneuriale pendant celle de la protection française (1552-1648), est à l’honneur. Grâce au numismate lorrain Bruno Jané, consultant en numismatique, connu pour son investissement dans L’Or de Metz (cf. Bulletin Numismatique n° 205, février 2021, p. 16) , le remarquable musée de la Princerie à Verdun organise à l’automne une très belle exposition numismatique accompagnée de conférences et autres animations. Cette ma- nifestation aurait dû avoir lieu l’an dernier à la même époque mais elle a été reportée cette année en raison de la Covid 19. Elle a été précédée début 2020 de la publication de la collec- tion de monnaies verdunoises du musée dans le très bel ou- vrage-catalogue intitulé Le monnayage des princes-évêques de Verdun (en vente sur Cgb. fr e t au magasin, 36 rue Vivienne, 75002 Paris, Cf. Bulletin Numismatique n° 195, mars 2020, p.10) . Cette manifestation verdunoise est l’occasion de faire le point sur le monnayage de cet évêché d’empire pendant la période de la protection française (1552-1648), avant son rattache- ment définitif à la France par le traité de Munster en West- phalie en 1648. En effet, ce sujet ayant été seulement effleuré par Dominique Flon en 2002, il convient de mettre à jour les remarquables publications de Pierre-Charles Robert en 1885- 1886 et de Félix Liénard en 1889. À l’époque, plusieurs ques- tions énigmatiques étaient restées en suspens auxquelles D. Flon n’a pas apporté de réponse. Parmi celles-ci, la data- tion du florin d’or à la Vierge non millésimé et la date réelle de fabrication du jeton millésimé 1617 évoquant les trois frères de la famille de Lorraine-Chaligny, cousins du duc de Lorraine, dont deux furent princes-évêques de Verdun (1611- 1622 et 1622-1661), le troisième commandant en chef de l’armée du duc de Lorraine Charles IV défendant Nancy contre l’armée française en 1633-1634. Les motifs et les légendes de ce jeton se complètent parfaite- ment, tant à l’avers qu’au revers. Au droit, la légende CONCORDIAE FRATRVM qui signifie « A la concorde entre les frères » entoure les armes pleines de Lorraine, brisées d’un lambel logique puisqu’il ne s’agit pas de la branche aînée régnant sur les duchés de Lorraine et de Bar mais de la branche cadette de Lorraine-Chaligny. Ces armes sont dans un écu timbré d’un heaume surmonté de la couronne ducale qui est lui-même accosté de deux mitres épiscopales. Au re- vers, la légende HOC. NEXV. VINCIT. INVICTI., accom- pagnée du millésime 1617, signifie que « ceux qui sont unis par ce lien sont invincibles ». Le lien en question figure dans le motif : c’est un nœud d’amour dit lac d’amour qui entoure deux crosses épiscopales séparées par une épée (glaive). Ces trois objets, crosses épiscopales et épée, sont intimement liées par le lac d’amour : cette figure symbolique signifie qu’il existe une totale union entre les deux prélats, symbolisés par les crosses épiscopales, et leur frère guerrier symbolisé par l’épée. (fig.1, exemplaire en argent) Remarquons que les trois frères sont mis sur un pied d’égalité, compte tenu de leurs fonctions respectives : Charles et Fran- çois furent successivement évêques de Verdun, respective- ment de 1611 à 1622 pour le premier et de 1622 à 1661 pour le second et leur frère cadet Henri, marquis de Mouy, fut ef- fectivement général de l’armée lorraine ducale. Ce constat toutefois amène, comme nous le verrons plus loin, à contester la date 1617 comme pouvant être celle de la frappe du jeton. Je pense en effet que cette frappe n’a pu être effectuée avant l’épiscopat de François (1622) et la reconnaissance d’Henri comme chef de guerre (années 1620-1630). Les descriptions de Robert (1885) et de Liénard (1889) sont laconiques. En outre, elles ne signalent pas que le millésime 1617 ne peut pas être celui de la frappe du jeton mais qu’il se rapporte à un événement important de la vie des trois frères de Lorraine-Chaligny. Robert écrit : « M. F. Clouet 1 considère ce jeton comme faisant allusion aux liens fraternels qui unis- saient le cardinal (sic) Charles et ses deux frères, c’est-à-dire François, à qui il avait résigné l’évêché de Verdun, et Henri, marquis de Mouy ». Liénard n’est pas plus explicite : « Ce je- ton fut frappé en mémoire de l’union des trois frères, savoir : Charles, évêque de Verdun, François son successeur, et Henri, marquis de Mony (sic, pour Mouy), mort en 1670 ». En fait, ces deux auteurs reprennent à leur compte, sans esprit critique, l’opinion exprimée en 1740 par Dom Calmet à l’égard de ce jeton dans sa Dissertation sur les monnoies , planche 7, n° CXIX (avec dessin à corriger). Citons le savant bénédictin : « Deux crosses liées par un nœud d’amour, ayant au milieu une épée nue la pointe en haut. Ces trois frères ne peuvent être que les trois Princes, fils d’Henri comte de Chaligny, & de Claude de Mouy. Le premier est Charles, qui fut fait Évêque de Verdun par la démission du Prince Erric de Lor- raine son oncle, en 1610 & qui ne fut sacré Évêque qu’en cette année 1617. Le second est François de Lorraine-Chali- gny, qui succède dans l’Évêché de Verdun à son frère, qui se fit jésuite en 1622. François n’était pas encore évêque mais il était déjà Grand-Prévôt & Doyen de Strasbourg et de Co- logne, & possédait apparemment quelque Abbaye, qui lui donnait droit de mettre la Crosse & la Mître dans ses Armes. Il mourut l’onzième Août 1661. Le troisième des frères est Henri de Lorraine Marquis de Mouy, mort en 1670, sans avoir été marié. Il avait pris le parti des Armes, comme le marque l’épée posée en pal entre les deux Crosses ». On peut retenir la majeure partie du propos de Dom Calmet, en excluant sa justification fantaisiste de la présence de la crosse et de la mitre dans les armes de François en 1617. Il est d’ailleurs regrettable que Dom Calmet ne remette pas en cause la date d’émission du jeton en 1617 alors qu’il a bien remarqué que 1617 fut la date du sacre de l’évêque Charles et qu’à cette date personne ne savait que François deviendrait à son tour évêque de Verdun en 1622 et que Henri deviendrait, sous son épiscopat, un important chef de guerre. Remarquons que, pendant les six années où l’évêque Charles sera le successeur intérimaire de son oncle Erric (1611-1617), en attendant d’être sacré évêque, cette situation ne l’empê- chera pas de battre monnaie car nous connaissons à son nom, avec le titre d’évêque, des florins d’or et des petits gros d’argent aux millésimes 1612 et 1613. Pour différentes raisons, le jeton qui nous intéresse n’a pas pu être frappé en 1617. À cette date, l’évêché de Verdun possé- dait un atelier monétaire qui était installé à Dieulouard dans 1 En 1850, François Clouet fut le premier à écrire un ouvrage sur le mon- nayage de Verdun avant d’être suivi par Robert et Liénard. Il laissa une col- lection importante de monnaies lorraines vendue au début du XX e siècle sous le nom de Collection Buvignier-Clouet. L’ÉNIGMATIQUE JETON VERDUNOIS DES TROIS FRÈRES, PRINCES DE LORRAINE- CHALIGNY, MILLÉSIMÉ 1617

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