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Bulletin Numismatique n°203 40 Joaquin Jimenez : [Sourire] La contrainte, à un moment, on l’oublie… Je vais répondre de manière beaucoup plus générale. Quel que soit votre domaine d’expérimentation artistique, vous devez ap- prendre. Prenons l’exemple de la musique. Si vous vous diri- gez vers la musique, c’est parce que vous avez d’abord ce que je qualifierais non pas de don mais d’affinité avec celle-ci. Vous commencez par apprendre le solfège puis par faire des gammes. C’est contraignant. La gravure, c’est contraignant. La sculpture c’est contraignant. Mais quand on est fait pour ça, on avale la contrainte assez vite. Une fois que l’on a la technique, on peut s’amuser. On peut jouer de l’instrument. On joue de la gravure, etc. Et, dans un dernier temps, il s’agit de faire de la musique, ou de graver, ou de peindre, ou de sculpter quelque chose qui a du sens. Et là, quand on a struc- turé son geste, qu’on a appris la technique, qu’on a fait ses gammes, on est alors capable d’exprimer, et même de déstruc- turer. On n’est plus obligé de suivre. La spontanéité dépour- vue de technique peut certes exister, mais dans la gravure, elle passe de toute façon par le savoir-faire. C’est comme le vio- lon. 6 -CGB : Votre nom susurre à l’oreille des origines hispano- phones, vous avez concouru dans de nombreuses compéti- tions internationales et créé pour un grand nombre d’institu- tions de par le monde. Comment qualifieriez-vous la création numismatique française d’aujourd’hui par rapport à ce que vous observez dans d’autres pays ? Joaquin Jimenez : La création numismatique française est riche, à l’instar d’autres Monnaies qui nous sont proches. On est dans le car- ré ou dans le trio de tête des Monnaies les plus créatives. C’est important, il faut y rester. Notre style est reconnu, et c’est aussi la raison pour laquelle nous parvenons à récolter de nombreux prix. Elle est donc appréciée, aussi. On apprécie la création française parce qu’elle est diverse, et toujours un peu originale, également. Et elle est riche. Elle est riche culturelle- ment. Voilà une autre chose qui m’est aussi très chère : la culture. Imaginez que vous dessinez une girafe. Si vous êtes cultivé, vous la dessinerez intelligente. Ou alors chargée de quelque chose. C’est aussi simple que ça. Pour moi, ces mé- tiers-là ne vont pas sans la culture. Il faut être curieux, se plonger dans la littérature, s’imprégner du monde tel qu’il est autour de nous, de ce qu’il a été dans la littérature mais aussi de ce qu’il est aujourd’hui. Il faut être actuel. Et la culture est indispensable. La culture et l’éducation sauveront tout. 7 -CGB : Certaines nations ont prôné la fin de l’argent li- quide, comme la Suède, dont l’initiative, d’abord jugée im- probable, a pourtant prospéré avant de faire face aujourd’hui à des vents contraires. Que vous inspire cette évolution ? Joaquin Jimenez : Tout comme le président Schwartz, qui l’a très bien dit dans de récents articles, je pense d’abord que la monnaie circu- lante, dont on dit parfois qu’elle est en perte de vitesse, suit une courbe encore croissante. Par ailleurs, je trouve que la disparition d’une monnaie qui alimente notamment une mi- cro-économie serait une erreur totale, et je pense qu’elle ne disparaîtra pas, je pense qu’elle ne s’arrêtera jamais. Pour ce qui est des pièces de collection, il n’y a pas de raison que cela de quelles idées, de quelles valeurs souhaiteriez-vous être le gardien ou le porteur, à cette charge ? Joaquin Jimenez : J’ai un grand respect de tout ce qui est régalien, officiel, les pièces circulantes, etc. J’ai également chevillée au corps l’idée que l’on est porteur d’un message de la République. Il est as- sez simple, et contenu dans sa devise. Liberté, Égalité, Frater- nité. C’est très important. République française est une autre mention obligatoire. Vous imaginez tout ce qui est caché der- rière ces quelques mots ? D’autre part, dans tout ce que nous faisons, moi et d’autres, il y a un souci bien entendu esthé- tique et de qualité. Graver est véritablement un travail. C’est d’ailleurs la notion qui s’inscrit dans mon différent, un carré dans un carré, le carré étant un signe de terre représentant le travail. Or, la majorité des artistes parlent non pas de leur œuvre mais de leur travail. Le peintre travaille sur un tableau et, un jour ou l’autre, il retourne son tableau et pense au len- demain. Nous travaillons exactement de la même manière. La monnaie qui va nous intéresser, c’est celle qui va suivre. Nous assurons une sorte de continuité, sous le signe du travail. Pour en revenir à mon différent, le carré dans le carré, ce sont mes initiales. Ce différent, qui apparaissait déjà dans mes créa- tions, figure le plus souvent dans une monnaie circulaire, le cercle étant le signe de la perfection, le signe céleste. Ainsi, le graveur est au travail, un travail inscrit dans une dynamique qui tend vers une forme de perfection, mais ça n’est que du travail. Restons à notre place ! Et cette valeur travail rejaillit dans toutes mes créations. Je m’y attèle du mieux possible et tente de faire passer des messages, des messages qui sont aussi en général liés à cette devise. Liberté, pour la liberté d’expres- sion. Egalité, évidemment, et fraternité, ça va sans dire. Et plus le message est lu par un grand nombre, mieux c’est. C’est un exercice difficile. Il faut à la fois montrer les choses, être lisible, et savoir les suggérer. C’est tout le problème aussi lorsque l’on fait des modèles un peu plus abstraits. Sur un support populaire, il faut que le message soit aussi lisible. 5 -CGB : L’œuvre d’art en général se niche aux confins de forces contraires : tumulte de l’esprit contre rigueur du savoir- faire, licence créative contre contraintes de la matière. Vous- même avez commencé votre carrière par des médailles gros modules avant de passer à des pièces circulantes, avec moins d’espace de liberté et plus de contraintes. La contrainte est- elle essentielle pour stimuler votre créativité ? 10 QUESTIONS À JOAQUIN JIMENEZ, GRAVEUR GÉNÉRAL DE LA MONNAIE DE PARIS

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