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Bulletin Numismatique n°203 39 1 - CGB : Joaquin Jimenez, vous avez été nommé en juillet dernier graveur général de la Monnaie de Paris par son PDG Marc Schwartz. Quelle feuille de route vous a été confiée ? Joaquin Jimenez : La volonté du président de la Monnaie de Paris était de re- nouer avec ce qui était en place historiquement. L’ancien gra- veur général, Pierre RODIER, qui est un peu notre maître à tous, en a d’ailleurs été très, très heureux. Lors de ma nomi- nation, j’étais directeur de la création, donc je dirigeais l’ate- lier de gravure. J’en avais les fonctions, mais pas le titre. Ce titre avait été supprimé en 2001 pour la bonne et simple rai- son qu’il n’y avait plus de prix de Rome. Pour être graveur général, il fallait en effet être prix de Rome ou, dans le cas de Pierre RODIER, je crois, prix du Salon des indépendants. Pour ma part, je réunis d’autres titres, dont plusieurs Coty du salon de Berlin et le Life Achievement Award, décerné par la profession internationale. Le président Schwartz a donc déci- dé de remettre ce titre à l’honneur et de redonner sa place à l’atelier de gravure. C’est un grand souci qu’il a et qu’il s’at- tache à mettre en pratique, ainsi que celui de remettre l’atelier de gravure au cœur de la création de la Monnaie, ce qui va dans le bon sens. Pour ce qui est de la feuille de route, en tant que conservatoire, nous nous devons d’enseigner les tech- niques anciennes. Bien sûr, notre institution fonctionne avec les dernières techniques contemporaines de création utilisées par toute la profession et même d’autres professions. Je pense au numérique, au laser, en captation, en restitution : on scanne au laser, on grave au laser, etc. Mais au-delà de ces techniques, la ligne du président, qui est aussi la mienne, est de continuer à enseigner notre patrimoine des techniques de gravure aux jeunes générations, afin quelles ne se servent pas des outils contemporains de la même manière que le ferait n’importe quel graphiste. Cette notion de conservatoire est importante. C’est « l’intelligence de la main », comme le dit si souvent mon ami Guy Savoy. Nous nous devons de la conserver, de la pérenniser, de la ré-enseigner en permanence. 2 -CGB : Créée en 864, la plus ancienne institution française a le souci de renouveler son offre, avec notamment des séries consacrées aux bandes dessinées. Le renouvellement des col- lectionneurs est une de vos préoccupations prioritaires ? Joaquin Jimenez : Oui, nous avons le souhait de contenter nos collectionneurs numismates. Ce sont eux qui font l’histoire de la monnaie. Il ne faut pas l’oublier. À travers leurs collections, ils inscrivent la création numismatique dans la durée. C’est évidemment un souci central pour nous. On les questionne beaucoup. Ce sont les Amis de l’Euro ainsi que de nombreuses autres asso- ciations. Elles sont les bienvenues, nous les recevons, les écou- tons, et même si le résultat n’est pas immédiatement visible, nous tenons compte de leur parole, bien entendu. La Mon- naie doit aussi capter de futurs collectionneurs. Pour cela, nous suscitons aussi l’achat de monnaies de collection par thème. Si je crée une monnaie sur Napoléon, je ne vais pas toucher que les numismates, mais aussi les passionnés de Na- poléon qui, dans leur carrière, vont acheter deux, trois ou quatre pièces - peu importe. Eux aussi, il faut les captiver, les intéresser à l’histoire que l’on raconte sur ces pièces. 3 -CGB : La création numismatique connaît des mutations profondes tant sur le plan technologique que des thématiques qu’elle incarne. Pour se renouveler, la création numismatique doit puiser dans ses racines ? Dans l’air du temps ? Joaquin Jimenez : Je dirais que c’est une relecture de l’histoire avec l’air du temps. Comme vous l’avez constaté, je n’ai pas l’habitude de traiter les sujets historiques de la même manière qu’on le fai- sait avant. J’attache une grande importance à la vision des graveurs d’aujourd’hui sur l’histoire, sur la numismatique elle-même. On ne fait plus une pièce comme on la faisait avant, avec les codes monétaires imposant une face avec un portrait, les lauriers, etc. Tout était vraiment hyper codé. Au- jourd’hui, on raconte plutôt une histoire, la monnaie incarne un récit. Et la forme a changé. On part d’une forme extrême- ment classique, toujours, mais avec des clins d’œil. Regardez ce que l’on a fait avec Astérix et la 2 euros. Qui aurait pensé que l’on mettrait un jour la tête d’Astérix en position de Cé- sar ! Il y a aussi cette envie de faire bouger les choses, d’actua- liser. Graphiquement, nous avons aussi un univers qui est re- connu maintenant dans le monde entier, un univers où on « s’amuse » à raconter quelque chose. Créer une monnaie n’est plus un support des rois ou de la République. Évidemment, on y écrit des messages. Nous sommes un des médiums sup- portant aussi les messages de la République : Liberté, Égalité, Fraternité, une Marianne, on ne fait pas ça n’importe com- ment. Mais aujourd’hui, les médailles – pardon, quel lapsus ! – les monnaies de collection que nous créons racontent une histoire, explorent une thématique qui doit être comprise à la fois dès le premier regard, mais aussi dans sa profondeur. Elles véhiculent un message assez complexe composé de multiples strates, d’histoire, de renseignements et offrent par là même plusieurs lectures. 4 -CGB : Les thématiques proposées par la Monnaie de Paris reflètent sa philosophie, mais le travail esthétique de ses repré- sentations est, lui aussi, porteur de messages, tantôt explicites tantôt habilement dissimulés. À travers votre travail créatif, 10 QUESTIONS À JOAQUIN JIMENEZ, GRAVEUR GÉNÉRAL DE LA MONNAIE DE PARIS ©Monnaie de Paris

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