Bulletin Numismatique n°256 29 peut-être l’URSS, pour cause de guerre froide…). Il faut plutôt comprendre qu’il s’agit d’une référence à l’ascendance généalogique, communautaire, culturelle ou encore technique de faussaires dont la patte est parfois identifiable grâce à la qualité de leur production ou à certains détails de gravure. Par abus de langage, on parle même d’écoles de faux-monnayage, l’une des plus connues étant probablement l’école italienne de Montecatini Terme (en Toscane) qui a beaucoup œuvré au milieu du XXe siècle (années 50-70). Quoi qu’il en soit, l’existence voire la circulation de Marianne Coq millésimées 1915 ou 1916 étant avérée, le numismate se perd en conjectures pour tenter d’expliquer cet anachronisme. Deux camps se font face : ceux, très majoritaires, qui pensent d’emblée à des contrefaçons et ceux, très minoritaires, qui n’excluent pas des pièces authentiques. Si l’on penche plutôt pour des contrefaçons, il est possible d’évoquer : - un acte volontaire et délibéré du faussaire car, dans nombre de pays, fabriquer une monnaie portant un millésime qui n’existe pas permet d’échapper au délit de faux-monnayage (puisque par définition les pièces fabriquées ne copient pas un millésime ayant ou ayant eu un cours légal) ; - une étourderie voire une méconnaissance de la part d’un faussaire peut-être influencé par le millésime 1915 figurant sur une médaille gravée par Armand Bargas sur un dessin d’Abel Faivre (voir ci-dessous). Cette médaille met en scène un coq gaulois vindicatif. Elle a été reprise par le même Abel Faivre sur la célèbre affiche ci-dessous : Si l’on est plutôt partisan de l’authenticité de ces pièces, on peut évoquer des frappes d’essais réalisées de façon très confidentielle par l’État français lui-même. Cette hypothèse est bien entendu hautement spéculative mais peut éventuellement se comprendre au regard du contexte historique. En effet, beaucoup d’officiels de l’époque ainsi qu’une grande partie des militaires eux-mêmes étaient convaincus que la guerre serait de courte durée. L’optimisme était de rigueur : on partait au front « la fleur au fusil », persuadé que la guerre serait vite finie, possiblement dès 1916… On trouve d’ailleurs une trace de cet état d’esprit sur des timbres des cours d’instruction des Postes surchargés « guerre 1914-1916 » (voir photos ci-dessous). Avec une pointe de malice, on peut donc imaginer que cet état d’esprit a peut-être aussi incité à frapper des pièces arborant un millésime qui sentait bon une issue rapide du conflit, un peu comme une prophétie autoréalisatrice… Et en ce qui concerne l’État, ces frappes auraient permis d’anticiper une reprise rapide de la circulation de l’or dès la fin du conflit (les coins étaient prêts !) et ainsi de constituer une aide précieuse au redémarrage de l’activité économique du pays. Pour ceux qui sont persuadés que l’État français n’oserait jamais se prêter à de telles manœuvres frauduleuses, on rappellera que, quelques années plus tard, il n’hésitera pas à faire frapper en secret des millions de copies de Marianne Coq démonétisées (bien mal dénommées « refrappes Pinay ») qui ont ensuite été vendues sur le marché de l’or durant au moins six mois (de mai 1951 à janvier 1952) sans que le public soit au courant : donc, pour le dire plus crûment, au noir ! (2) Ce n’est en effet que, contraint et forcé par la réaction du marché, que le ministère des Finances s’est résolu à reconnaître publiquement la supercherie en publiant le 30 janvier 1952 un communiqué resté célèbre (3). Toutefois, et en dépit de cet aveu ministériel, aucun décret ni aucune loi n’ont jamais donné, même a posteriori, la moindre existence légale à ces copies… qui sont donc bien ipso facto des faux d’État. 20 FRANCS MARIANNE COQ : LES MILLÉSIMES IMPOSSIBLES (1915 ET 1916)
RkJQdWJsaXNoZXIy MzEzOTE=