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Bulletin Numismatique n°226 30 Dans la live-auction de septembre 2022 de Cgb.fr figurait un rarissime thaler non daté de l’abbaye impériale de Gorze (Moselle) au nom de son princeabbé Charles de Lorraine-Remoncourt. Estimée 6 000 à 9 000€, cette monnaie exceptionnelle provenait de la célèbre collection Fernand David dispersée à Monaco le 12 mars 2022 par la maison Gadoury et l’expert Alain Weil. Avant cette dispersion, cet exemplaire n’était pas connu et donc pas répertorié (fig.1). Les exceptionnelles monnaies de Gorze ont été peu étudiées. Au XVIIIe siècle, Dom Calmet et Duby en publient le teston mais ils ne connaissent pas le thaler. Une première étude d’ensemble, magistrale et encore très utile, est publiée en 1870 par l’académicien Pierre-Charles Robert. Puis il faut attendre 2002 pour bénéficier d’une nouvelle étude par Dominique Flon, laquelle, malgré les apports de grandes collections depuis 1870 (Monnier 1874, Regnault 1875, Hermerel 1884, Meyer 1902 et surtout Florange 1937 puis Lhéritier 1979, Wormser 1982 et Claoué 1993), reste très inférieure au travail de Robert car truffée de nombreuses erreurs qui trompent les auteurs de catalogues. Depuis 2015, j’ai entrepris un réexamen complet du monnayage de Gorze1 et j’ai bon espoir, avec l’aide de mes amis François Renard et Bruno Jané, de pouvoir publier, dans les prochains mois, un nouvel ouvrage sur le monnayage de Gorze qui remplacera les écrits de Robert et de Flon. D’ores et déjà, il est aujourd’hui possible de faire le point sur les thalers ; c’est l’objet du présent article2. Figure 1 QUELQUES MOTS SUR L’ABBAYE DE GORZE Rattachée à la France par le traité du 28 février 1661 signé à Vincennes au nom du roi Louis XIV par le cardinal Jules Mazarin (Giulio Mazzarini), bien qu’alors mourant3, la principauté abbatiale de Gorze, dorénavant comprise dans la province française des Trois-Evêchés (Metz, Toul, Verdun), était auparavant une terre autonome et souveraine sous la suzeraineté de l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique. Le prince-abbé était réputé y jouir du droit de battre monnaie ; toutefois, il n’exercera pas celui-ci avant 1610. 1 Voir la bibliographie et surtout le B.N. n°216, février 2022, pp.40-43. 2 En complément du B.N. n°216 précité et des trois communications présentées à la Société française de numismatique (2015, 2016, 2021). Pour l’histoire, voir Robert 1870 et Nimsgern 1853. 3 Il décèdera le 9 mars 1661. Ce traité avec le duc de Lorraine sera son dernier acte politique Situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Metz, à proximité de la rive gauche de la Moselle, le village de Gorze, connu dès l’Antiquité pour l’abondance et la qualité de ses sources4, accueillait l’abbaye proprement dite ainsi que le palais abbatial dans un ensemble fortifié. Outre ce village de Gorze, le territoire abbatial de la principauté comprenait 25 autres villages5 plus ou moins enclavés dans les évêchés d’Empire de Metz et de Verdun. En 1552, le roi de France Henri II s’était emparé des Trois-Evêchés de Metz, Toul et Verdun et le traité de Cateau-Cambrésis (1559) lui avait implicitement reconnu un droit de vicaire d’Empire sur ces Trois-Evêchés, c’est-à-dire de protection militaire. Celle-ci ne doit pas être confondue avec le protectorat politique ultérieur mis en œuvre par Henri IV et Louis XIII, prélude au rattachement définitif de 1648. A cet égard, les guerres de religion qui ravagèrent la France durant quatre décennies empêchèrent les rois successeurs de Henri II, jusqu’à Henri IV, de transformer la protection militaire en protectorat politique, ce qui fut parachevé par Richelieu en 16336. Tout naturellement, le rattachement définitif des Trois-Evêchés à la France, en pleine possession, fut consacré par le traité de Munster en Westphalie en 1648. Dès ce moment, le rattachement de la principauté abbatiale de Gorze à la France était prévisible. Entre 1560 et 1648, profitant des guerres de religion qui affaiblissaient le roi de France, les ducs de Lorraine conçurent le dessein de rattacher à leurs territoires (duchés de Lorraine et de Bar) les Trois-Evêchés qui, depuis 1552, étaient devenus beaucoup plus autonomes vis-à-vis de l’Empire en raison du vicariat reconnu au roi de France. D’où une concurrence politique très vive avec le roi de France à partir de 1598 lorsque l’Edit de Nantes eut rétabli la paix civile en France. Depuis le début du XVIe siècle, en leur qualité de champions de la cause catholique7, les ducs de Lorraine avaient obtenu des papes successifs la nomination de princes de leur maison, la Maison de Lorraine, à la tête des Trois-Evêchés et de l’abbaye de Gorze. En 1607, le prince-abbé de Gorze est le cardinal Charles de Lorraine, deuxième du nom ; il est un des fils du duc régnant de Lorraine Charles III. C’est un prélat « cumulard » qui est en même temps évêque de Metz et évêque de Strasbourg. Il bat monnaie mais seulement à Saverne, cité alsacienne située à la frontière lorraine. Ses monnaies circulent à la fois en Alsace et en Lorraine, surtout d’ailleurs dans tout l’espace lorrain : duchés de Lorraine et de Bar, Trois-Evêchés, principautés, seigneuries et autres terres souveraines dans l’espace lorrain. Son teston, appelé aussi « quart de thaler » est très connu. 4 Voir CHARLET 2019, RT Séna n°9, pp. 341-347. 5 Liste donnée par NIMSGERN 1853, p.68. Chacun de ces villages fait ensuite l’objet d’une notice descriptive. 6 A l’occasion de l’occupation par la France de la Lorraine ducale, à partir de 1633. 7 Dans les années 1580, le duc de Lorraine patronne la Ligue que dirige son cousin le duc de Guise, Henri de Lorraine dit « le Balafré », assassiné à Blois en 1588. LES RARISSIMES THALERS D’ARGENT DE LA PRINCIPAUTÉ ABBATIALE DE GORZE, FRAPPÉS DE 1630 À 1640

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