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Bulletin Numismatique n°226 31 Le 28 novembre 1607 le cardinal de Lorraine précité meurt. Précautionneux, il avait résigné quatre ans auparavant sa charge d’abbé de Gorze en faveur de son demi-frère, le prince Charles de Lorraine-Remoncourt. Le duc Charles III obtient du pape la confirmation de cette résignation et réussit à faire nommer abbé de Gorze son fils naturel Charles de LorraineRemoncourt. En revanche, Charles III est évincé par Henri IV dans la lutte sans merci que se livrent ces deux souverains pour la succession à l’évêché de Metz. Henri IV obtient du pape la nomination de son fils naturel, le duc Henri de Bourbon-Verneuil8. Toutefois, vu sa jeunesse (il avait 7 ans en 1608), ce dernier devra patienter quelques années avant de devenir évêque de Metz effectivement. En attendant, le vieux cardinal Anne d’Escars de Givry assurera un intérim jusqu’à sa mort survenue en 1612. Bruno Jané, François Renard et moi-même formons l’hypothèse que ce coup de force de Henri IV sur l’évêché de Metz en 1608 peut expliquer deux phénomènes. D’une part le rétablissement en 1608 de la monnaie de Verdun, après un siècle et demi d’absence, par le prince-évêque de Verdun, Erric de Lorraine-Vaudémont, cousin germain du duc Charles III, ainsi que la création, en 1610, de la monnaie de Gorze par Charles de Lorraine-Remoncourt. D’autre part, la réaffirmation, par ces deux prélats, de leur droit de rendre la justice. Battre monnaie et rendre justice sont des droits régaliens par excellence : les réaffirmer avec éclat en 1608-1610 à Verdun et à Gorze nous paraît être une réaction logique de la Maison de Lorraine défendant ses positions traditionnelles vis-à-vis d’un roi de France entreprenant, pour ne pas dire « impérialiste ». LA PLACE DU THALER DANS LES MONNAIES DE GORZE Bien que le droit de monnayage ait été reconnu à l’abbé de Gorze depuis le Moyen Âge, le monnayage de Charles de Lorraine-Remoncourt (1576-1648), abbé de Gorze de 1608 à 1645, est le seul connu pour cette principauté abbatiale d’Empire. C’est un monnayage d’or et d’argent, à l’exclusion du billon et du cuivre ; aux monnaies proprement dites doivent être ajoutés des jetons de cuivre ainsi qu’une médaille. S’agissant des seules monnaies, on distingue ainsi : trois espèces d’or, non millésimées : double pistole, pistole, florin ; trois espèces d’argent, millésimées et non millésimées : thalers millésimés et non millésimés, testons millésimés 1610 et non millésimés, demi-testons non millésimés. Les premières monnaies frappées sont très certainement les testons, les espèces d’or ayant sans doute été émises lorsque Charles de Lorraine-Remoncourt devint président du Conseil souverain de Lorraine à partir de l’occupation française en 1633. Comme on connaît des testons au millésime 1610, 8 Fils de Henri IV et de sa maîtresse Henriette de Balzac d’Entragues, marquise de Verneuil. Né à l’automne 1601, peu après Louis XIII. Sera fait duc de Verneuil et légitimé. Après sa mort, en 1682, sa très belle collection de monnaies (il était un excellent numismate) ira grossir celle de Louis XIV. Pour son monnayage, voir CHARLET 2019, RT Séna n°9 pp. 223-235. avec 10 écrits pour 16109, suivis des jetons aux millésimes 1611 et 1612, on peut penser que ces testons millésimés 1610 sont les premières monnaies de Charles de Lorraine-Remoncourt. A cette date, le teston était frappé à Nancy et à Metz et il avait été frappé en 1608 à Verdun. En outre, il était la monnaie de référence dans l’espace lorrain. A contrario, il me paraît impossible que des thalers aient été frappées dès 1610 et même avant 1630. Dans la Lorraine ducale, à Nancy, le thaler n’est plus frappé après 1603 et sa dernière émission en 1603 est une émission de pièces de prestige non destinées à la circulation. A Metz, monnayage municipal, et à Vic sur Seille, monnayage épiscopal, la frappe du thaler avait cessé dès les années 1570 pour la ville10, 1560 pour l’évêque. Ensuite le thaler n’était apparu que d’une manière extrêmement fugitive à Verdun en 1619-1621. Dans ces conditions, il était exclu que Charles de Lorraine-Remoncourt ait gaspillé de l’argent à faire fabriquer des thalers qui n’auraient pas trouvé preneur dans le public lors de leur mise en circulation. En revanche, la date de 1630 pour le début de la fabrication des thalers à Gorze est très vraisemblable. En 1628, le magistrat municipal de Metz a décidé la reprise de la frappe du thaler. Celui-ci s’impose dans la circulation monétaire au sein de l’espace lorrain. Par ailleurs, ce même magistrat a abandonné en 1611 la frappe du teston au profit de la création du franc-messin ou pièce de XII gros, de poids moindre que celui du teston. A Gorze, après la première émission du teston en 1610, les émissions ultérieures non millésimées de cette pièce sont aux caractéristiques du franc messin au lieu de celles de l’ancien teston de Metz. Toutefois, on pratique la supercherie en s’efforçant de faire circuler pour de vrais testons ces testons légers au poids du franc messin11. La reprise de la frappe du thaler à Metz en 1628 offre au prince-abbé de Gorze une occasion unique de frapper lui aussi le thaler comme l’avait fait son cousin lorrain à Verdun en 1619-1621. Un dernier argument plaide en faveur du début de la fabrication du thaler en 1630, en tout cas après 1628. C’est le décri prononcé à Metz par le magistrat municipal le 30 juillet 1631, après essais de poids et de titre par l’essayeur de la Monnaie de Metz. Les termes du rapport de l’essayeur, rapprochés de ceux du décri, permettent de penser que les thalers de Gorze sont une monnaie nouvelle postérieure au tarif messin du 22 février 162812. Je retiens donc l’année 1630 pour le début de la frappe des thalers, les derniers exemplaires millésimés montrant les années 1638 et 1640 (40). Il est vraisemblable que le thaler ne fut plus frappé après cette dernière date. En ce qui concerne les thalers non millésimés, il est impossible de les dater pour le moment, on peut seulement situer leur émission entre 1630 et 1640. 9 Ce type d’écriture pour le millésime était parfois utilisé en Lorraine sous Charles III et dans l’Empire : cf. le thaler de Metz 1571 marqué seulement 71 (Flon, tome II, p.729 n°1), ainsi que des monnaies de Charles III, millésimées 88 pour 1588. 10 Avec peut-être une frappe en 1603 lors de la visite d’Henri IV. 11 Ainsi le Tarif Verdussen du 1633 appelle-t-il teston la pièce de Gorze au poids du franc messin frappée, sans millésime, entre 1627 et 1633. 12 Voir le texte de ce décri chez ROBERT 1870, p.7. LES RARISSIMES THALERS D’ARGENT DE LA PRINCIPAUTÉ ABBATIALE DE GORZE, FRAPPÉS DE 1630 À 1640

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