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Bulletin Numismatique n°209 26 QUATRE ÉNIGMATIQUES JETONS LORRAINS AU NOM DE LOUIS XIV Fig. 4 En 2016, dans le mensuel aujourd’hui disparu Numismatique et Change (n°478, juin 2016, p. 27), j’avais évoqué ce possible deuxième sens caché dans une étude consacrée au dernier je- ton de la série n°7560 en argent 17 et 7560A en cuivre (fig. 4). Sur ce dernier jeton, l’avers est identique à celui du jeton n°7558, à savoir le portrait de Louis XIV au buste juvénile lauré, drapé et cuirassé à l’antique, portant déjà la perruque (cf. supra). En revanche, le revers sur lequel on retrouve à l’exergue la légende DE. LINT. D. LORR. BARR. ET. EVESCHEZ, montre un nouveau motif. Il s’agit d’une femme assise (pour Feuardent : « La Pro- vince ? ») tenant dans la main droite tendue une couronne et dans la main gauche une paire de clés de ville. Cette femme est accompagnée de la légende HAC. MERCEDE. PLACET qui signifie : « et elle plaît par ce qu’elle apporte (ou rap- porte) », c’est-à-dire la couronne et les deux clés qu’elle offre. Si l’on considère, comme le pense Feuardent, que la femme assise peut être identifiée comme étant la Lorraine, Robert restant plus prudent 18 , on peut interpréter ainsi le motif et la légende : la Lorraine présente à Louis XIV sa soumission, d’une part en obéissant à sa souveraineté (c’est le symbole de la couronne, laquelle est une couronne de laurier, c’est-à-dire de victoire) et d’autre part en lui offrant les passages revendi- qués par la France sur son territoire (c’est le symbole des clés) afin que l’armée royale puisse le traverser pour se rendre en Alsace 19 . Mais on peut aussi, comme je l’ai évoqué en 2016 dans Nu- mismatique et change n°478 précité, se demander si cette in- terprétation est la seule possible ou bien si elle n’en cache pas une deuxième allant au-delà des apparences. On peut ainsi s’interroger : est-ce que « DE. LINT. » signifie seulement « de l’intendance » ou bien est-ce que ce mot, en abrégé, ne cache pas un deuxième sens, figuré. 17 FLORANGE 1937, p. 44 n°438 et planche X. 18 ROBERT 1886, pp.61-62 n°1557 : « femme assise offrant une cou- ronne ». 19 L’étude des faits historiques du XVII e siècle montre que, pour la France, la question du droit de passage des troupes françaises à travers la Lorraine ducale pour se rendre en Alsace était plus importante que l’occupation de la Lorraine, voire son rattachement à la France. Cela explique en partie que ce rattachement attendra 1766, le roi de France considérant la Lorraine ducale comme étant sous son protectorat dès 1633-1634 et même lorsque Léopold Ier aura été rétabli dans ses états en 1697 par la Paix de Ryswick : la Lorraine ducale était alors totalement enclavée à l’intérieur de la France agrandie par la paix de Nimègue. En effet, à travers cette formule sibylline concernant a priori son intendance de Lorraine, Louis XIV peut, à travers ses trois jetons de 1660 et 1661 présentant cette formule, signi- fier à la Lorraine qui est encore soumise à son obéissance qu’il est de l’intérêt bien compris de celle-ci de lier son sort à la politique et aux choix du Roi-Soleil. Sur le jeton de 1659, Louis XIV écrase sous les sabots de son cheval les ennemis qui l’ont combattu, parmi lesquels le duc de Lorraine. Sur les je- tons de 1660, le soleil rayonnant et flamboyant qui personni- fie Louis XIV illumine et domine le territoire lorrain qui lui est soumis. Sur celui (en argent et en cuivre) de 1661, on peut voir effectivement la Lorrain soumise qui tend au roi la cou- ronne de laurier, symbole de la victoire, et s’apprête à lui re- mettre les clés des passages sur son territoire ; mais on peut penser aussi à la France qui règne sur la Lorraine et dispose des passages sur son territoire, le tout dans l’intérêt bien com- pris de celle-ci. Ce dernier jeton est dans l’esprit du traité de Monmartre de 1662 par lequel Charles IV cédait à la France ses duchés de Lorraine et de Bar en échange de la qualité de princes du sang reconnue à son profit et aux princes de la Maison de Lorraine. Devant l’opposition interne exprimée en France, ce traité ne fut pas mis en application. Mais lorsque Charles IV retrouva ses états en 1662-1663, il fut soumis à une tutelle française allant jusqu’à modifier son monnayage : le « charles d’or » remplaça alors la pistole et le florin lorrain à la fois tandis qu’était créé le « charles d’argent » sur le modèle de l’écu blanc 20 . Et lorsque Charles IV voudra s’affranchir du protec- torat français qui lui était imposé contre son gré, la France réoccupa ses états. La deuxième occupation française dura ainsi vingt-sept ans, de 1670 à 1697, jusqu’à la paix de Ryswick qui rendit au duc de Lorraine ses états, désormais enclavés dans le royaume de France, c’est-à-dire difficilement viables. À travers une administration temporaire, ici l’intendance de Lorraine, de Bar et des Trois-Evêchés, les quatre jetons variés de 1659 à 1661, ci-dessus examinés, diffusent un message poli- tique fort : celui de la mainmise du roi de France sur l’ensemble du territoire lorrain . Cette affirmation, qui est une véritable profession de foi politique, dépasse naturellement le cadre d’une simple administration, des surcroît temporaire : ici, elle n’est qu’un support d’expression. Dès le milieu du XVII e siècle, après avoir, grâce aux traités de Westphalie en 1648, réuni définitivement les Trois-Evêchés à la France et acquis des droits sur l’Alsace, le roi de France si- gnifie ainsi, par ses quatre jetons à thème, qu’il a vocation à accroître son territoire français de l’espace lorrain qu’il oc- cupe. C’est pourquoi, rappelons-le, la réintégration du duc Charles IV dans ses états sera de courte durée (1662-1670) et la Lorraine ducale sera alors à nouveau envahie et occupée pendant plus d’un quart de siècle (1670-1697). Louis XIV ne renoncera (temporairement dans son esprit) à l’occupation de 20 Le « charles d’argent » frappé en très petite quantité, n’a pas été retrou- vé. On ne connaît que le « demi-charles » appelé communément demi-écu. Cf. FLON 2002, tome II, p. 713, nos 32 à 34.

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