cgb.fr

Bulletin Numismatique n°209 24 QUATRE ÉNIGMATIQUES JETONS LORRAINS AU NOM DE LOUIS XIV QUATRE ÉNIGMATIQUES JETONS LORRAINS AU NOM DE LOUIS XIV, FRAPPÉS PENDANT L’OCCUPATION FRANÇAISE DE LA LORRAINE DUCALE (1659-1661) D ans le catalogue Feuardent des Jetons et Méreaux 1 sont répertoriés du n°7557 au n°7560A cinq jetons lorrains dont les quatre premiers, en argent, sont différents, le cinquième étant un jeton de cuivre identique au jeton n°7560 qui est en argent. Ces jetons sont classés sous la rubrique « Charles IV en exil, 1 re occupation française (1634-1661) ». Ils sont tous en effet au nom de Louis XIV. Le premier (n°7557), au millésime 1659, montre le roi à cheval à l’avers, le revers étant celui, bien connu, des jetons du Conseil du roi. Les deux suivants (n°7558 et 7559) montrent un revers commun, composé d’un soleil irradiant un paysage ; à l’avers de l’un apparaissent les bustes affrontés de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse, sur l’avers de l’autre le portrait seul de Louis XIV au buste juvénile, lauré, drapé et cuirassé à l’antique, portant déjà la perruque. Les deux derniers jetons, identiques car seulement différenciés par le métal, reprennent ce portrait désormais associé à un revers montrant une femme assise offrant une couronne et tenant des clefs (n°7560 et 7560A). (Fig. 1, 2, 3 et 4). Fig. 1 Ces jetons appartiennent à une période transitoire (1659- 1662) au cours de laquelle le duc de Lorraine devait être re- mis en possession de ses duchés de Lorraine et de Bar que la France occupait depuis 1633. Le traité des Pyrénées, conclu le 7 novembre 1659 dans l’île des Faisans 2 , prévoyait en effet dans ses articles LXII à LXXVIII et CXXI cette restitution dans les quatre mois suivant la signature du traité par le duc de Lorraine. Toutefois, Charles IV ayant refusé de signer ce document par lequel il était obligé de céder à la France plu- sieurs de ses places fortes (Stenay, Jametz, Clermont-en-Ar- gone, etc.), l’occupation des duchés de Lorraine et de Bar fut poursuivie par la France jusqu’en 1661-1662. Pendant l’occupation des duchés de Lorraine et de Bar, le roi de France s’abstint de battre monnaie dans les territoires qu’il 1 FEUARDENT 1995, tome II p. 132, nos 7557 à 7560A. 2 Traité signé par Don Luis de Haro et le cardinal Mazarin, ratifié ensuite par le roi d’Espagne et le roi de France. occupait 3 mais il manifesta sa présence et fit passer ses mes- sages politiques par l’émission de jetons sachant que les jetons de cuivre, et même quelquefois ceux d’argent, y circulaient comme des monnaies, y compris dans les Trois-Evêchés 4 . Le jeton le plus caractéristique à cet égard est celui du Parlement de Metz, créé en 1633, jeton frappé en 1641 à l’occasion d’une importante réforme judiciaire affectant les Trois-Evê- chés et les duchés 5 . Louis XIII créa également, pour les du- chés occupés, un intendant et un gouverneur en 1634, confir- més en 1637, ainsi qu’un Conseil souverain de Lorraine siégeant à Nancy. Ce Conseil souverain fut présidé pendant un temps par le prince Charles de Lorraine-Rémoncourt (1576-1648), fils naturel légitimé de Charles III, donc « oncle » de Charles IV. Ce prince fut abbé de Gorze de 1608 à 1645 et nous a laissé en cette qualité des monnaies frappées avec le titre de seigneur souverain de cette abbaye impériale 6 . En ce qui concerne les intendants du roi en Lorraine, dont les pouvoirs s’étendaient à l’ensemble du territoire lorrain, du- chés et évêchés confondus, on connaît un jeton de l’intendant Le Jay, millésimé 1655, au titre de la chambre de la ville de Nancy 7 . Par ailleurs, Louis XIII en 1636 puis Louis XIV en 1646 et 1656 firent frapper des jetons de la Chambre des comptes de Bar 8 . Enfin, l’intendant Colbert de Pouanges, oncle du célèbre Jean-Baptiste Colbert mais qui était allié par mariage à la famille Le Tellier c’est-à-dire celle de Louvois, fit frapper à son nom des jetons millésimés 1658 au titre de la ville de Bar 9 . Mais on ne connaît pas de jetons invoquant l’intendance de Lorraine, de Bar (Barrois) et des Trois-Evêchés, en tant qu’ ins- titution , antérieurement aux cinq jetons précités millésimés 1659, 1660 et 1661. La particularité de ces cinq jetons lorrains est qu’ils sont frap- pés au nom de Louis XIV et à son image, à un moment où ils n’auraient pas dû l’être , la fin de l’occupation française étant normalement imminente dès la fin de l’année 1658 après la victoire des Dunes remportée par Turenne 10 . En outre, ces jetons ne sont pas frappés au nom d’un intendant en particu- lier, comme c’était l’usage, mais au nom d’une institution ad- 3 Contrairement à ce que pensèrent certains numismates, de Delombardy (1848) à Jean Duplessy (1999), le double lorrain de cuivre ne fut pas une monnaie créée par Louis XIII pour circuler en Lorraine pendant l’occupation de celle-ci mais une monnaie illégale frappé à Stenay par le comte de Sois- sons, cousin du roi, gouverneur de Champagne, sous l’autorité duquel avait été placée cette ville stratégique confisquée au duc de Lorraine. Cf. CHAR- LET 2020, B.N. n°203, p.25 et CHARLET 1989, Cahiers numismatiques n°100-101, juin-septembre 1989, pp.510-546. 4 D’où l’usure très fréquente de ces jetons. 5 Cf. CHARLET 2016, pp. 37-52. 6 Cf. CHARLET, KIND 2015, pp. 185-190 et 2016, pp. 233-237. 7 Cf. FEUARDENT 1995, tome II , n°7709 et MONNIER 1874 n°1359 8 Cf. FEUARDENT 1995, tome II, n°7800 à 7803, MONNIER 1874 n°1338 et 1339, CHARLET 2016, p. 39 fig. 6 et p.49 9 Cf. FEUARDENT 1995, tome II, n°7806 à 7809, MONNIER 1874 n°1341. 10 Dès cette victoire commencèrent les négociations qui conduisirent au traité des Pyrénées (1659) ainsi qu’au mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse (1660).

RkJQdWJsaXNoZXIy MzEzOTE=