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Bulletin Numismatique n°206 40 tures, sur les assiettes décorées, sur les éventails que des héros tirés de Plutarque et de Tite-Live, que des ci-devant déesses renonçant aux noms de Junon, Diane ou Vénus et symboli- sant la Raison, la Concorde, la Vigilance. On accumule les triangles, les niveaux, l’œil, signes souvent empruntés à la franc-maçonnerie ; on multiplie les couronnes de chêne et de laurier, les faisceaux, les urnes…, tout un ensemble rappelant les Républiques antiques. » 12 . Devant et aux pieds de la déesse, à gauche, une clef et un sabre en sautoir. On les retrouve dans certaines armoiries municipales, la première d’or, l’épée d’argent. Ces deux sym- boles sont ici surdimensionnés : était-ce intentionnel ? Sont- ils en relation avec les missions de la Garde ? Le premier pour- rait exprimer la sûreté ; l’arme, le courage, le dévouement et la fidélité. Autour de cette face, l’inscription : A J. L. MATHIEU, CURE ET COM. DT DE LA G. DE N. LE DE LEYSSARD. En exergue : PAR L’AMITIE. • Au revers : un autel (de la Patrie ?) est orné de deux chande- liers. Au-dessus de celui-ci, une forme triangulaire – égale- ment la pointe vers le bas – est fixée sur un montant vertical. Ce dernier semble coiffé d’un bonnet phrygien, ou surmonté d’un bouquet de fleurs. Hennin y vit la stylisation d’un arbre de la liberté. Le sommet du crucifix, placé sur l’autel, coïncide exactement avec la pointe basse du triangle-divinité : n’est-ce qu’un hasard ? Dans le cas contraire, qu’elle pouvait être la signification de ce rapprochement ? On lit au-dessus du triangle : CHARITE-LIBERTE. Au des- sous, sur ce montant supérieur horizontal : EGALITE. Sous le montant gauche, la base des lettres contre celui-ci : LA FRANCE ; sur le droit, selon la même disposition : 3.NE - FONT.1 [trois ne font qu’un]. Était-ce là un rappel des trois références du serment civique : la Nation, le Roi, la Loi ? Était-ce une allusion à la réunion des trois ordres au sein d’une même Assemblée nationale à l’occasion d’une fête d’union nationale ? Sur l’autel, et très clairement sur l’exemplaire monoface ac- quis en janvier 2014 par les Archives de l’Ain, se distinguent les trois lettres, S H I , habituellement disposées dans un ordre inverse : I esus H ominum S alvator, Jésus sauveur des hommes. Cette disposition induisait-elle un autre sens ? Autour de cette face, l’inscription : AUTEL PATRIOTIQUE DE LEYSSARD. LE 14 JUILLET. En exergue : 1790. Si l’avers est dédié à un homme, le revers fait allusion au grand événement national de l’année : cette Fête de la Fédération organisée à Paris avec des délégations de tous les départe- ments ; accompagnée, aux douze coups de midi, de cérémo- nies civiques dans toutes les villes et villages ; manifestation de la fraternité du peuple français et de son unité avec son Assemblée et avec son roi. M. Hennin ne prêta nul intérêt à cette iconographie : « Cette médaille, dont les légendes font connaître l’objet, ne demande aucune explication. » 12 • L. Trénard, Imagerie révolutionnaire et contre-révolution à Lyon, in : Les images de la Révolution, Colloque de la Sorbonne des 25-27 octobre 1985, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, pp. 97-107. • Louis Trénard commente encore : « l’équerre [symbolise] la rectitude et la droiture d’esprit, le compas suggère le mouvement ; il dessine le cercle qui n’a ni commencement, ni fin. » [in : La Révolution Française dans la région Rhône- Alpes, Éditions Perrin, 1992, pp. 484-485.] Otto Karmin, par contre, l’étudia avec soin dans L’influence du symbolisme maçonnique sur le symbolisme révolutionnaire (1910) 13 . Il s’interrogea : « Les attributs maçonniques abondent sur cette pièce. » « […] [Q]ue signifient les deux triangles renversés […] ? Nous ne savons y répondre. » Ne conviendrait-il pas d’y voir possiblement un simple choix es- thétique : ces triangles s’intègrent parfaitement dans le cercle de la médaille et se prêtent mieux aux multiples inscriptions du revers. Aucune interprétation certaine ne ressort des analyses citées. Alors, la profusion symbolique de l’ensemble n’est-elle pas plus intéressante que le décryptage de chaque détail ? Cette accumulation atteste le grand bouillonnement des idées et des références en ce moment de notre histoire. Il faut y voir la tentative de tout rapprocher, de tout harmoniser : philoso- phie des lumières, religion chrétienne, traditions de la franc- maçonnerie, nouvel esprit civique. J oseph Antoine Couchoux (ou Couchoud), prêtre José- phiste, enseignant au Collège de Nantua, fut accusé, avec d’autres collègues du même établissement, « de s’être montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et en- nemis de la liberté ». Le 18 germinal (7 avril 1794), quatre commissaires, nommés par le Comité de Surveillance, vinrent l’interroger en sa cel- lule de la prison de Nantua. Il leur déclara « être âgé de trente huit ans, avoir rempli les fonctions d’instituteur depuis envi- ron vingt deux ans, tant à Lou[h]an[s] qu’à Grenoble, Belley, […] Nantua, […] dernier lieu où il a professé, où il est depuis trois ans. » On le questionna sur différents propos qu’il aurait tenus : il les nia tous. On lui parla des exemplaires d’une médaille, retrouvés lors de la perquisition effectuée le 15 germinal : « [N]’avait[-il] pas chez lui deux médailles en étain, dont une fasse représentait Minerve tenant d’une main une couronne de chêne et de l’autre main un égide orné de trois fleurs de lys, avec l’inscrip- tion autour : A J.L. mathieu, Curé, Commandant de la Garde nationale de Leyssard ? […] [A] quel usage, il conçervait ces médailles ? « A répondu qu’il connaissait bien ces médailles, qu’il en avait eu[es], […] qu’il ne se rappellait pas de les avoir encore, […] qu’il n’en voulait faire aucun usage. » Réponse évasive et habile, tout risquant d’être retenu contre lui. « Et plus n’a été interrogé. Lecture à lui faitte [de sa déposi- tion], a dit que ses réponses contiennent vérité et a signé avec nous. » 14 . Joseph Antoine Couchoux, Benoît et François Bertrand, Jo- seph Marie Rigollet, enseignants, échappèrent au Tribunal révolutionnaire, dont ils avaient été initialement menacés. Mais ils restèrent longtemps emprisonnés. Ils ne furent libérés qu’ensuite d’un arrêté du Représentant en mission Boisset, le 22 brumaire an III (12 novembre 1794). Christian BRYON 13 Extrait de la Revue Historique de la Révolution Française , avril-juin 1910, pp. 176-189, Le Puy, Imprimerie Peyriller, Rouchon & Gamon, 1910, p. 12. O. Karmin signale, entre autres, le « renversement du monogramme du Christ [SHI au lieu de IHS] ». [S’il s’agissait, comme pour les gravures, d’une inversion de l’image, le S ne serait pas dans ce sens.] 14 Archives de l’Ain, 14 L 63, Comité de Surveillance de Nantua, sous- dossier Rigollet / Couchoud. UNE MÉDAILLE PATRIOTIQUE LEYSSARD (1790)

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