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Bulletin Numismatique n°206 38 À l'occasion de la Première Fête de la Fédération, une médaille en étain fut réalisée et diffusée en reconnais- sance de l'action menée par Jean-Louis Mathieu (1738-1804), curé de Leyssard-en-Bugey, district de Nantua, département de l'Ain, à la tête ou en faveur de la Garde natio- nale locale. Il était, depuis 1768, le desservant-bénéficier de cette paroisse. Il avait été classiquement formé (études secondaires au Col- lège Joséphiste de Nantua, études de théologie à la Sorbonne) et intronisé sous l'Ancien Régime (présenté à la cure de Leys- sard par l'abbé commendataire de Nantua, confirmé et titula- risé par l'archevêque du diocèse de Lyon). Il était issu d'une famille de notables nantuatiens. Son grand- père paternel, Joachim Mathieu, avait été « notaire royal et procureur à Nantua », son père, François Joseph Mathieu, fut « avocat en parlement, conseiller du roy » ; son grand-père maternel, Joseph Robin, « docteur médecin de Mon[t]pel[l] ier ». Dans la parentèle, de nombreux ecclésiastiques et quelques militaires. Jean-Louis fut l'aîné de neuf enfants (3 garçons et 6 filles). Il participa, le 24 mars 1789, à Belley, à l'élection du député du clergé du Bugey aux États Généraux. Il adhéra d'abord à la nouvelle société qui se dessinait (1789-1790). L'année 1791 semble ensuite avoir été déterminante pour lui. En mars 1791, dans son Journal 1 , il fait état d'une « vraie apathie », dépressive et paralysante. Résultait-elle de ce qu'il vivait ? de ce qu'il apprenait ? Il avait acquis un pavillon de l'ancienne abbaye (bien national). Il semble avoir voulu s'éloigner de sa paroisse et demeurer là. Des peurs, des lassitudes, le pous- sèrent-elles à quitter sa cure, à rechercher la tranquillité d'une agglomération plus importante, dans une maison isolée qu'il avait achetée récemment et qu'il aimait ? En octobre 1791, il demanda l'autorisation – pour raisons de santé – de passer la période hivernale dans cette propriété. Elle lui fut accordée jusqu'au mois d'avril suivant. Il y prolongea son séjour, jusqu'au moment où la municipalité de Leyssard et le District de Nantua le rappelèrent à ses devoirs. Parce qu’il était prêtre, et donc évidemment suspect (bien qu’assermenté), il fut incarcéré une première fois, à Nantua, sur ordre du Représentant Gouly, du 9 au 14 janvier 1794 ; puis, pour avoir refusé de se « déprêtriser » et de signer le for- mulaire imposé par le Représentant Albitte, du 5 février au 20 juillet 1794. Dénoncé au Comité de Surveillance pour des propos contre-révolutionnaires (propos sans doute réels, mais chronologiquement déplacés afin de le soumettre au Tribunal 1 Jean-Louis Mathieu, Journal (1768-1804), Préface de Paul Cattin, an- cien directeur des Archives de l’Ain, introduction, notes et études de Chris- tian Bryon, Bourg-en-Bresse, Patrimoine des Pays de l’Ain, 2019, 272 pages. révolutionnaire), il gagna Paris, par étapes, en vingt jours. Durant son « voyage » (c’est l’expression qu’il employa), Robespierre fut renversé. Il ne fut donc pas jugé, mais connut un nouvel emprisonnement (Port-Libre, 10 août-3 novembre 1794). J.-L. Mathieu vécut ses dernières années à Nantua et se ré- jouit, dans son Journal , des efforts de Bonaparte, Premier Consul, pour rétablir la paix générale, redresser la situation intérieure, rétablir la confiance des Français 2 . Il mourut dans sa ville natale, le 26 juin 1804, dans sa 65 e année, entre le sé- natus-consulte qui confiait la République à un empereur et le plébiscite qui le ratifia. « L e [samedi] 5 juin [1790, à la séance du soir], M. Bailly [maire de Paris] présenta à l’Assemblée nationale une Adresse des citoyens de Paris à tous les Français, au sujet de la célébration de la fête du 14 juillet. « Dix mois se sont à peine écoulés depuis l’époque mémo- rable où des murs de la Bastille conquise s’éleva un cri sou- dain : Français, nous sommes libres ! Qu’au même jour, un cri plus touchant se fasse entendre : Français, nous sommes frères ! Oui, nous sommes frères, nous sommes libres, nous avons une patrie […]. […] [F]aisons, il en est temps, faisons de ces fédérations [qui s’organisent dans les départements] une confédération générale ! […] C’est le 14 juillet que nous avons conquis la liberté, ce sera le 14 juillet que nous jurerons de la conserver : qu’au même jour, à la même heure, un cri général, un cri unanime retentisse dans toutes les parties de l’empire : Vive la Nation, la Loi et le Roi ! » » Le Comité de Constitution fut chargé d’étudier la mise en œuvre de cette proposition 3 . Une médaille fut donc émise, cette année-là, en reconnais- sance de l’action civique de Jean-Louis Mathieu. Elle ne semble pas avoir eu d’équivalent ailleurs. Première particula- rité : elle désignait le curé de Leyssard comme commandant de la Garde nationale. Sans doute son action avait-elle été impor- tante, décisive pour se voir ainsi honorée ? Avait-il œuvré au recrutement et à l’organisation de la Garde ? Avait-il assuré son équipement ? Aucun document ne permet non plus de préciser l’identité et les motivations de ceux qui prirent cette initiative. L’inscrip- tion Par l’Amitié laisse penser que les commanditaires furent des personnes géographiquement et/ou fraternellement proches : les autorités essartiennes peut-être, les membres mêmes de la Garde nationale locale sans doute, en remercie- ment de l’investissement personnel de leur chef et curé 4 . 2 Christian Bryon, Donc je suis revenu, Vie et tribulations de Jean-Louis Mathieu (1738-1804), curé de Leyssard (1768-1793), paroisse du Haut-Bugey, Préface de Jean Tulard, membre de l’Institut, Bourg-en-Bresse, Patrimoine des Pays de l’Ain, 2020, 600 pages. 3 Cité par Dom H[enri] Leclercq, La Fédération (Janvier-juillet 1790) , Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1929, pp. 294-295. 4 • Le 25 mai 1790, J.-L. Mathieu avait célébré le mariage de Paul Richard, de Leyssard, « sergent de compagnie dans la milice garde-nationale de cette paroisse », avec Marie Françoise Gonnessiat « tailleuse d’habit demeurante à Solomiat ». Les témoins étaient : André Cochet, « capitaine commandant de la ditte milice » ; Valentin Geoffroy, Célestin Rimas, Armand Soudan, Pierre Joseph Colletaz, « fusilliers ». [Archives municipales, Leyssard.] • Le procès-verbal de la réunion du 24 juin 1790 – où furent désignés 6 membres sur les 100 de la Garde de Leyssard devant se rendre à Nantua pour l’élection de la délégation du District à la cérémonie parisienne – cite trois officiers : « Dubreuil, premier capitaine, André [Cochet], capitaine commandant, Pernod, capitaine en second ». L’entraînement et la discipline relevaient certainement de ces derniers et d’abord du capitaine commandant. UNE MÉDAILLE PATRIOTIQUE LEYSSARD (1790)

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