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Bulletin Numismatique n°206 26 Monnaie du prince-évêque de Liège à Bouillon, il avait écopé de condamnations pour fausse monnaie dans les deux cas. On ne sait combien d’ateliers monétaires temporaires il créa de 1617 à 1619 dans la principauté de Château-Regnault et Lin- champs mais la permission du 23 avril 1619, publiée par Adrien Blanchet dans la RN 1907, l’autorisait à en créer plu- sieurs. On connaît Château-Regnault mentionné dès le bail initial de 1610, puis La Tour-à-Glaire dénoncé en 1627 par le roi d’Espagne Philippe IV. Il faut y ajouter Linchamps pour la période 1617-1619. Mais Manlich a-t-il ouvert d’autres ateliers que Linchamps et La Tour-à-Glaire ? Rien ne permet de le supposer mais rien n’interdit non plus de l’imaginer. On peut aussi envisager une autre hypothèse. Le fait qu’en 1628 une bande de faux-monnayeurs agissant conjointement dans les vallées de la Meuse et de la Semois à partir des ateliers de La Tour-à-Glaire (principauté de Château-Regnault et Linchamps), de Cugnon et des Hayons (terres souveraines du comte de Löwenstein-Rochefort enclavées dans le duché de Bouillon) ait été appréhendée et que Manlich à nouveau ait été mis en cause à cette occasion, permet de se demander si dès 1617-1619 Manlich n’avait pas aménagé dans la vallée de la Semois un atelier illégal fabriquant ses productions mar- quées ROK, en liaison avec ses productions issues des ateliers de la principauté. Cet atelier illégal aurait pu être installé à Cugnon ou, aux Hayons où la ferme de la Vanette fonctionna un temps comme atelier de fausse monnaie. Dans ce cas, ROK pourrait effectivement évoquer les terres que le seigneur de Rochefort possédait dans le duché de Bouillon, allusion territoriale sans conséquences 5 . Ces monnaies marquées ROK ne relèveraient donc pas de la principauté de Château-Regnault et Linchamps mais des ter- ritoires possédés par le comte de Löwenstein-Rochefort en bordure de la Semois, sans que ce seigneur, dont le mon- nayage ne débute qu’en 1622, soit mêlé à ce trafic organisé par Paul Manlich. Les pièces marquées ROK seraient ainsi des fausses monnaies fabriquées par Paul Manlich, dans la vallée de la Semois et le mot ROK, inventé par Manlich, se- rait destiné à faire croire que ces fausses monnaies auraient été frappées dans un atelier commençant par ROK. En revanche, nous ne pensons pas que le comte de Löwens- tein-Rochefort ait fait frapper les pièces de 4 sols ou patards et les pièces de 3 Kreutzers marquées ROK. Le style de ces monnaies inconnues est trop proche de celui des espèces ana- logues de Château-Regnault que faisait alors frapper Manlich et il est très différent des monnaies que le comte de Löwens- tein-Rochefort fera frapper à partir de 1622, en toute légalité. Il n’est guère possible d’aller plus loin pour le moment mais un lien est établi, par le décri de Francfort en 1618, entre les pièces de 3 Kreutzers de Château-Regnault et celles à la lé- gende ROK. L’hypothèse de monnaies sciemment contre- 5 Pour compléter la confusion volontairement entretenue par Manlich, il existe dans la principauté de Château-Regnault et Linchamps le roc de la Tour et la forge de Rogissart dépendant du bourg de Gespunsart, paroisse importante de la principauté pouvant être visée par la permission du 23 avril 1619. MONNAIES ARDENNAISES CONTREFAITES : LE MYSTÈRE DE ROK faites, comme c’est le cas pour les pièces de 4 sols ou patards imitées de Campen et de Holstein, fabriquées par Manlich dans le duché de Bouillon, contigu à la principauté de Châ- teau-Regnault et Linchamps, en même temps qu’il mon- nayait dans la principauté, est tout à fait plausible 6 . Elle pour- rait ainsi expliquer l’utilisation de la légende ROK jusqu’à présent inexpliquée car apparemment inexplicable. CONCLUSION : Cet article était écrit lorsque j’ai retrouvé un intéressant cour- rier de Robert Ronus. Notre excellent ami me signale pour ROK une attribution italienne au comte de Ronco, Napo- léon Spinola, marquis de Roccaforte. Je connaissais cette at- tribution fantaisiste car la seigneurie de Ronco n’est érigée en comté qu’en 1644 par l’Empereur avec droit de battre mon- naie à partir de cette date seulement (Engel et Serrure 1897, Traité de numismatique moderne et contemporaine p. 428 avec indication de l’ouverture de l’atelier en 1647, Maurice Cam- marano, Corpus luiginorum, 2 e édition 2020, pp. 199-200 avec la même indication de l’ouverture de l’atelier en 1647). Le MIR d’Alberto Varesi (volume Piémont, etc.), 2 e édition s.d. en €, reprend dans son n°518 une erreur commise en 1959 par Gamberini di Scarfea n°666 ( Les imitations et contre- façons monétaires dans le monde , 4 e partie, tome I, p. 219). Je n’ai évidemment pas pris en considération cette attribution de Gamberini di Scarfea à Ronco/Roccaforte. Cet auteur a été induit en erreur par les nombreuses imitations italiennes (Piémont et Lombardie) de la pièce de 4 sols. Celle-ci était en fait une espèce européenne, frappée tout au long d’un très important circuit commercial reliant l’Espagne aux Pays-Bas,. Cet itinéraire était devenu obligatoire depuis l’échec de l’ Invi- cible Armada . On passait par le Piémont, la Suisse, la Franche- Comté puis la vallée de la Meuse, d’où la multiplication sur l’itinéraire des ateliers fabriquant des pièces de 4 sols. Man- lich le savait parfaitement lorsqu’il décida de frapper massive- ment des pièces de 4 sols. Les pièces de 12 Kreutzers et de 3 Kreutzers étaient réservées à l’Empire. Parmi les ateliers italiens qui fabriquèrent des pièces de 4 sols, on peut notamment citer Bozzolo, Castiglione, Corregio, Desana (Deciane), Guastalla, Messerano, Mirandole etc 7 . Le lecteur est invité à se reporter aux Tarifs Verdussen de 1627 (réédité en 1974) et 1633 qui font connaître un grand nombre de ces pièces de 4 sols. L’étude de ces tarifs me conforte dans mon hypothèse d’une fabrication spécifique Manlich, sous le vocable ROK créé pour la circonstance, dans la vallée de la Semois sur les terres franches du comte de Löwenstein-Rochefort à l’insu de celui-ci. Christian CHARLET 6 Ajoutons que la création de l’atelier de La Tour-à-Glaire par Manlich s’accorde tout à fait avec la pratique du faux monnayage dans la vallée de la Semois, comme ce sera le cas en 1628, le faux monnayage de 1628 étant sans doute la suite de celui pratiqué par Manlich en 1617-1619. 7 On notera que le CNI, en la circonstance plus rigoureux et plus sérieux que Gamberini di Scarfea, qu’Alberto Varesi n’aurait pas dû recopier, ne re- tient pas l’attribution à Ronco. A juste titre. Récemment, la Maison Künker (Auction 331 du 30 janvier 2020 n°871) a été abusée par cette attribution fallacieuse à Ronco et a dû reprendre la monnaie après la vente.

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