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Bulletin Numismatique n°229 43 LES 3 GLORIEUSES À NANTES, LES MÉDAILLES ANNIVERSAIRES DE 1831 ET 1832 ENTRE COMMÉMORATION ET PROPAGANDE POLITIQUE - PARTIE 1 les pages 576 à 587. Le cri « vive la liberté ! » apparaît à plusieurs reprises16. Il revient donc comme un véritable leitmotiv parmi la foule. Au passage, le témoignage de l’auteur est particulièrement intéressant. À 25 ans, Ange Guépin est déjà un humaniste (il réprouve fermement l’esclavage dans son ouvrage par exemple), peut-être pas encore socialiste (le néologisme n’a pas encore été forgé en 1830, il le sera entre 1831 et 1834), mais le sort des classes les plus populaires est un point d’attention assez central de son ouvrage. En tout état de cause, et sans l’ombre d’un doute, il est déjà républicain17. Pourtant, il observe bien que ce courant est extrêmement minoritaire dans la Cité des Ducs, tout comme le bonapartisme18. La forme du régime ne peut pas agréger cette somme d’individus : c’est bien la conquête ou le rétablissement de libertés qui rassemble le groupe, c’est l’un des éléments qui font dénominateur commun et qui permettent le compromis ouvrant la voie à l’action collective. La présence de la Patrie peut paraître au premier abord assez contre-intuitive. De nos jours, on associe plus volontiers la Patrie à un contexte républicain, et non monarchique, et on a tort. La notion de la « Patrie en danger », fondatrice, fait écho aux premières victoires de la 1re République, au mois de septembre 1792, au moment même de sa fondation. Or, l’enrôlement des volontaires débute le 11 juillet, par un décret de l’Assemblée nationale qui déclare « citoyens, la Patrie est en danger ». À l'époque, et pour un peu plus de 2 mois, la forme du régime est encore celle d’une monarchie constitutionnelle. La Patrie est donc bel et bien l’autre brique fédératrice, légitime et cohérente entre ces deux monarchies constitutionnelles. Il est plutôt logique de l’identifier dans les discours et prises de parole de l’époque. Ainsi, les hommes tombés les armes à la main à Paris sont considérés comme de vrais patriotes, à qui l’on promet la panthéonisation – une promesse rapidement oubliée19. Pour autant, la vigilance patriotique est un concept inscrit dans la Charte de 1830, puisqu’elle dispose en son article 66 : « - La présente Charte et tous les droits 16 p.577, 579, 581, 582. Pour cette dernière occurrence « une main décidée enleva une pierre du pavé et la jeta dans la Loire, aux cris mille fois répétés de vive la liberté ! » 17 p.585 « 89 avait affranchi la classe moyenne ; 1830 devait affranchir les prolétaires. Accorder le droit électoral non plus à la fortune, mais uniquement à la capacité (…) » 18 p.579 « Le peuple se prenait de colère ; l’instant paraissait favorable pour l’entraîner, lorsqu’un jeune homme qui, dans son illusion, se croyait arrivé à la pratique des théories pour lesquelles le peuple français a subi un si long martyre, se dresse, lève son chapeau, et s’écrie de toute la force de ses poumons : plus de rois, vive la république ! Personne ne répondit ; mais les plus proches voisins du jeune homme l’engagèrent à se retirer, en lui disant qu’il se perdait. Les napoléoniens, de leur côté, essayèrent aussi de s’emparer de la masse, et l’un d’eux répéta plusieurs fois de suite : Vive Napoléon II ! sans réussir à entraîner la multitude » 19 On peut citer de nombreux documents d’époque, très explicite par leurs titres : 30 Juillet 1830. Arrivée Des Patriotes De Rouen, D’Elbeuf Et Du Havre, Commandés par M.rs E.le Delaunay, Victor Quesné, Monthélier et Toqueville :[estampe] ; A. DE SAINTES, Les Enfants de Paris ou Les Petits Patriotes, scènes de courage […] de la jeunesse parisienne, pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet 1830 ; ouvrage orné d’estampes précédé d’un récit succinct de la nouvelle révolution, Paris, Nepveu, 1831, in-8°, oblong, p. 21 qu’elle consacre demeurent confiés au patriotisme et au courage des gardes nationales et de tous les citoyens français ». Là encore, le qualificatif « patriote » n’est pas réservé au seul mouvement parisien. En effet, Ange Guépin l’utilise à de nombreuses reprises – 12 fois dans la dizaine de pages de son récit des événements de 1830. À hauteur des hommes et femmes de 1830, y compris à Nantes, l’utilisation de ce mot a une filiation tout à fait claire. Ainsi, l’auteur consacre un chapitre très conséquent à la Révolution de 1789, dans lequel le terme « patriote » est utilisé une cinquantaine de fois. La sémantique permet ainsi de jeter un pont entre les révolutionnaires de 1789 et ceux de 1830, même si les objectifs sont différents selon Ange Guépin lui-même. Par ailleurs, une version abrégée de l’article 66 est inscrite sur le monument aux morts de juillet 1830, au cimetière Miséricorde. Sur la colonne, on peut ainsi lire « la défense de la Charte est confiée au patriotisme de tous les citoyens ». Quoi qu’il en soit, le choix des mots permet d’encore mieux refermer la parenthèse de la Restauration, qui tentait pour sa part d’effacer la période révolutionnaire et le règne impérial de Napoléon Ier20. Pour finir sur ce mot, Patrie, notons que 1830 introduit une certaine nouveauté, malgré tout. En effet, il ne semble figurer que rarement sur les médailles, et il est totalement absent sur les monnaies révolutionnaires. On trouve des occurrences de type « patriote », ou « patriotisme » (par exemple, « le patriotisme affermit la liberté »), mais pas Patrie. En 1789-95, on utilise plus volontiers le concept de « Nation », souvent dans un diptyque « la loi la nation » ou un triptyque « la loi le roi la nation », qui figure notamment sur la quasi-totalité des monnaies constitutionnelles. Pour conclure complètement sur les motivations des révolutionnaires, le dernier fondement réside dans la détestation du souverain et la volonté de le renverser. Les cris « à bas Charles X » (1 fois) ou bien « à bas les Bourbons » (1 fois), « meure Charles X » (2 fois) sont aussi un élément récurrent dans l’expression de la foule, toujours rapportée par Ange Guépin – mais dont il est impossible de faire une traduction positive, utile dans une médaille officielle. Il est préférable d’exprimer le projet plutôt que le rejet. Guillaume CHASSANITE Retrouvez la suite de cet aticle dans le prochain Bulletin Numismatique. 20 Le préambule de la Charte de 1814 est particulièrement éclairant sur cet aspect : « La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice, suivant la différence des temps ; que c’est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l’extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l’ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l’administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n’avait surpassé la sagesse. »

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