Bulletin Numismatique n°256 38 Deux siècles après sa mort, le Libertador (Libérateur) Simon Bolivar (1783-1830), auquel la plupart des pays d’Amérique du Sud doivent leur indépendance au début du XIXe siècle, reste encore aujourd’hui l’objet d’une vénération partout sur ce continent. Il commença de l’être de son vivant lorsque le Haut-Pérou, lors de la proclamation de son indépendance en 1825, prit immédiatement le nom de Bolivie en hommage au Libertador. Dès ce moment le portrait de Bolivar figura sur sa monnaie qui prit au bout de quelque temps le nom de Boliviano (fig.1). Le Venezuela, pays de naissance de Bolivar, ne fut pas en reste : à son tour il le mit à l’honneur sur sa monnaie qui prit le nom de Bolivar.1 D’autres pays suivirent et depuis 200 ans on ne compte plus les monnaies sud-américaines qui, de manière générale ou commémorative, honorent Simon Bolivar à de multiples occasions : anniversaire de sa naissance et de sa mort, de ses victoires notamment Ayacucho en 1824, du congrès sudaméricain de 1826, etc. Même, plus près de nous, le dictateur vénézuelien Hugo Chavez, d’inspiration castriste, se proclamait ouvertement et en permanence le fidèle disciple de Bolivar, affirmation historiquement contestable2. Fig. 1 : Bolivie 8 sols (= 1 Boliviano) 1828 au portrait de Bolivar Sans vergogne, certains chefs d’état sud-américains, de type dictatorial, n’ont pas hésité à accaparer le culte du Libertador et à s’en servir pour leur promotion personnelle et leur propagande. Ce fut en particulier le cas du général Antonio Guzman Blanco (1829-1899) chef d’état dictatorial du Venezuela de 1870 à 1888 avec des interruptions. En France, nous connaissons ce personnage car, après son renversement en 1888 lors d’un de ses voyages à l’étranger, il finit ses jours à Paris et fut enterré au cimetière de Passy près du Trocadéro. Autour de l’an 2000, le Venezuela, qui le considère aujourd’hui comme l’un de ses grands hommes, sinon le plus grand après Bolivar et, pour certains, Miranda, a obtenu le rapatriement de ses restes dans ce pays, transformant ainsi son tombeau parisien en cénotaphe. Le général Guzman Blanco était le fils d’un compagnon d’armes de Simon Bolivar et de son lieutenant José Antonio 1 La monnaie du Venezuela, émise d’abord en réaux conservés de la colonisation espagnole, prit le nom de Bolivar en 1879, après celui de Venezelano. Les venezelanos puis les bolivares furent frappés par la Monnaie de Paris à partir de 1873 avec l’effigie de Simon Bolivar (cf. La pièce commémorative de 1973 fig.2). 2 Cf. Christian CHARLET, L’inspiration bolivarienne dans la numismatique depuis le XIXe siècle, BSFN 2013 p.101 et suiv. Paez qui fut le premier chef d’État du Venezuela indépendant en 1829-1830 après sa brouille avec Bolivar. Ce dernier, fidèle à ses principes universalistes de la franc-maçonnerie, désirait que l’indépendance des pays latino-américains d’Amérique du Sud, arrachée à l’Espagne de Ferdinand VII, s’accompagnât de l’unification de ces anciennes colonies espagnoles ; à cette fin, il avait déjà réalisé la création de la Grande Colombie, fusion du Venezuela, de l’ancienne Nouvelle-Grenade devenue Colombie et de l’Equateur. Mais il ne fut pas suivi dans cette voie par le Congrès de Panama en 1826 et suscita contre lui une opposition croissante jusqu’à sa mort prématurée en 1830, à l’âge de 47 ans, précipitée par la proclamation de l’indépendance du Venezuela par Paez en 1829. Le père du général Guzman Blanco fut successivement ministre de Bolivar puis de Paez, ce dernier gouvernant le Venezuela en dictateur tyrannique de 1830 à 1843 puis de 1861 à1863. C’est pourquoi, à la différence du général Guzman Blanco, Paez ne bénéficie pas de la même renommée au Venezuela bien qu’il fût à l’origine de l’indépendance de ce pays. Fig. 2 : Venezuela 10 Bolivares 1973, pièce commémorative de la fabrication en 1873 des monnaies vénézuéliennes à l’effigie de Simon Bolivar par la Monnaie de Paris (graveur Barre). Après la chute de Paez en 1863, le président Juan Falcon dota le Venezuela d’une constitution fédéraliste qui déchaîna une guerre civile entre les fédéralistes ou libéraux et les conservateurs (1866-1870). La victoire des fédéralistes ou libéraux porta au pouvoir le général Guzman Blanco en 1870. Malgré son type de gouvernement dictatorial, assez courant en Amérique du Sud, le général Guzman Blanco laissa au Venezuela un bon souvenir dans le pays. Cela est dû essentiellement à la prospérité économique qu’il lui assura, même si le peuple en bénéficia moins que les privilégiés. Par ailleurs il lutta contre l’influence de l’Église catholique qu’il estimait excessive et cet anticléricalisme fut assez partagé par la population. La médaille ci-jointe montre comment le général Guzman Blanco s’est emparé du centenaire de la naissance de Simon Bolivar en 1783 pour détourner cet événement à son profit personnel (fig.3). À l’avers, on distingue le général Guzman Blanco en grand uniforme, accompagné de son épouse, leurs têtes tournées à droite. Au dessus de leurs bustes figure la légende CENTENARIO DEL NATALICIO DE BOLIVAR (Centenaire de QUAND UN DICTATEUR SUD-AMÉRICAIN SE SERT DU LIBERTADOR POUR VANTER SA PROPRE GLOIRE
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