Bulletin Numismatique n°255 52 UN FAUX ÉCU ET LES VRAIS ÉCUS DE LOUIS XIV FRAPPÉS À SAINT-PALAIS (NAVARRE) AU BUSTE JUVÉNILE DIT « APPOLLONIEN »1 DE 1664 À 1671 Les interminables travaux effectués chez moi depuis 18 mois m’ont permis de retrouver quelques monnaies dont le rarissime écu de 1665 aux différents A et D (2 ex. connus dont un non localisé) ainsi que de nombreux documents concernant la numismatique. Parmi ceux-ci, des photographies que m’avait envoyées un collectionneur il y a longtemps et que j’avais totalement oubliées. Elles concernent un écu de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » au millésime 1663 inédit et unique car aucune fabrication n’était connue pour ce millésime (fig.1). fig.1 En effet, fermé fin 1662 à l’initiative de Colbert (bail de Génisseau de mai 1662), l’atelier de Saint-Palais ne devait rouvrir qu’en 1664 en vertu de l’arrêt rendu le 10 novembre 1663 par le Conseil d’Etat du roi ordonnant la réouverture de la monnaie de Saint-Palais2. Cet arrêt ne fut en réalité exécuté qu’après son enregistrement par la Chambre des Comptes de Pau en mai 1664 et, dans l’attente de cet enregistrement, l’atelier demeura fermé. C’est pourquoi la série de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » ne commence qu’en 1664 et pas avant le milieu de l’année. Les photos que le collectionneur m’a envoyées concernent donc une fausse pièce. D’ailleurs plusieurs preuves montrent que cette pièce est un faux. Non seulement le millésime 1663 ne peut exister pour un écu de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » mais la photo montre l’association avec un revers de Saint-Palais (à l’écusson de France-Navarre) d’un buste appartenant à une frappe d’un des six ateliers du royaume (Paris, Rouen, Bayonne, Rennes, Aix) autorisés à fonctionner. Ainsi a-t-on pu associer un avers de Bayonne avec un revers de Saint-Palais. 1- La supercherie la plus simple consiste à photographier un avers de Bayonne (ou d’un autre des 6 ateliers) et un revers de Saint-Palais et à faire circuler ensuite la photo en affirmant qu’il s’agit d’une seule monnaie. La supercherie est 1 Ce terme, choisi par mon ami Arnaud Clairand, est exact car Louis XIV à l’époque était systématiquement représenté en Apollon. Mais il est vrai également qu’à 24 ans en 1662 (date de création de l’écu) son buste était juvénile. D’où mon compromis entre la nouvelle (Arnaud) et l’ancienne appellation (XIXe siècle). 2 Cf. CHARLET 2014 p.553-554 et, pour plus de détails voir ARBEZ, CHARLET 1997 p.223-264. grossière mais on sait qu’avec des photos on peut tout faire. On le constate d’ailleurs sur certains catalogues associant des avers et des revers de monnaies différentes en laissant croire qu’il s’agit d’une seule monnaie. 2- On peut fabriquer cette monnaie fausse en coupant les deux exemplaires et en collant ensuite l’avers d’un atelier du royaume avec le revers de Saint-Palais. Ce procédé de fabrication de fausse monnaie est bien connu pour les écus d’argent de Louis XV aux trois couronnes au millésime 1715. Un certain nombre de ces écus rarissimes sont des faux, collés ou soudés, en associant un avers du tout jeune Louis XV à un revers d’écu Louis XIV aux trois couronnes. Ensuite on trafique la tranche pour faire disparaître toute trace du collage ou de la soudure. Pour une monnaie de 1663 c’est encore plus facile puisqu’il n’y avait à cette date aucune inscription ni aucune cannelure sur les tranches. Nous sommes donc bien en présence d’un faux fabriqué à partir de 2 monnaies totalement différentes. Mais, en outre, un examen détaillé de la photo du revers montre que le millésime 1663 a été trafiqué ainsi que le différent qui suit ce millésime. 3- L’examen du millésime montre que l’on est en présence d’un millésime 1653, corrigé en 1663. En effet, le second 6 du millésime a été obtenu à partir d’un 5 corrigé. On distingue très bien le 5 tel qu’il figurait sur les écus de SaintPalais au millésime 1653. Puis ce 5 a été habilement refermé (travail d’orfèvre) par adjonction d’une petite boucle pour donner un 6. On voit très bien que ce second 6 est totalement différent du premier. Puisqu’une petite boucle ou un petit croissant a été ajouté au 5 pour en faire un 6, la qualité de ce travail permet de considérer que l’hypothèse 2 ci-dessus est plausible, à savoir la juxtaposition par collage ou soudure d’un avers d’écu du royaume de 16621663 avec un revers de Saint-Palais 1653 transformé frauduleusement en 1663. Ce n’est pas tout. Outre le millésime 1653 transformé en 1663, on a également trafiqué le différent qui suit ce millésime. En 1664 et 1665, sur les exemplaires authentiques, ce différent est une tour, marque du graveur parisien Dufour, assistant de Warin, qui fut chargé par la Cour des monnaies de fournir à Saint-Palais les poinçons et matrices nécessaires au monnayage, comme cela avait été le cas pour Pau en 16633. Or ici, sur cet exemplaire 1653/1663 trafiqué, on constate que le différent de 1653, à savoir un cœur renversé, a été trafiqué afin de ressembler à une tour écrasée. C’est pourquoi, compte tenu de toutes les observations qui précèdent, cet écu au buste juvénile dit « apollonien » est un faux moderne, trafiqué avec des techniques modernes par un faussaire désireux de le faire passer pour une monnaie unique. L’ouvrage Les monnaies des quatre rois Louis indique l’existence de « faux d’époque » pour des écus au millésime 1663, ateliers de Toulouse et de Nantes, qui étaient alors fermés4. S’agit-il vraiment de faux d’époque ou bien d’autres faux 3 Cf. CHARLET 2014 p.553-554. 4 Editions Monnaies d’Antan, 2011, p.286. UN FAUX ÉCU ET LES VRAIS ÉCUS DE LOUIS XIV
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