Bulletin Numismatique n°254 62 L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE EST-ELLE MENACÉE ? Le projet de loi de « simplification de la vie économique », actuellement débattu au Parlement, suscite une vive inquiétude chez les archéologues et les syndicats en raison de ses implications pour l’archéologie préventive. Ce texte prévoit des dérogations aux obligations de diagnostics et de fouilles préalables pour les projets d’aménagement déclarés d’intérêt national majeur, au nom d’une logique d’accélération des chantiers. QU'EST-CE QUE L’ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE EN FRANCE ? L’archéologie préventive consiste à détecter et sauvegarder les éléments du patrimoine archéologique susceptibles d’être affectés ou détruits par des travaux d’aménagement publics ou privés. Elle vise à concilier la préservation du patrimoine enfoui, souvent inconnu, avec les impératifs du développement urbain et rural. La loi sur l’archéologie préventive, adoptée en 2001 et régulièrement actualisée, encadre cette activité essentielle à la protection de la mémoire collective. Trois grands types d’opérateurs interviennent dans l’archéologie préventive en France : • L’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), établissement public national, compétent pour les diagnostics et les fouilles sur tout le territoire, toutes périodes et milieux (terrestres, marins, eaux intérieures). • Les services archéologiques des collectivités territoriales, habilités à réaliser diagnostics et fouilles sur leur territoire. • Les opérateurs privés agréés, qui peuvent réaliser des fouilles (mais pas les diagnostics). Les diagnostics sont obligatoirement réalisés par un opérateur public (Inrap ou collectivité habilitée), tandis que les fouilles peuvent être confiées à tout opérateur agréé. En 2023, les services archéologiques des directions régionales des affaires culturelles (Drac) ont reçu 45.444 projets d’aménagement. Cependant, seuls 7,67 % de ces projets ont fait l’objet d’une prescription de diagnostic, et à peine 1 % ont abouti à une fouille archéologique. Les collectivités territoriales ont réalisé en moyenne 22 % des diagnostics, l’Inrap assurant la majorité des interventions. DONNÉES FINANCIÈRES ET FINANCEMENT Le financement de l’archéologie préventive repose principalement sur la redevance d’archéologie préventive (RAP), une taxe payée par les aménageurs pour les travaux affectant le sous-sol, au taux de 0,71 €/m² en 2025 pour les surfaces supérieures à 3 000 m². Certaines opérations (travaux publics, agricoles, etc.) sont exonérées. Les opérations de fouilles peuvent bénéficier d’une aide du Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP), financé par un prélèvement sur la RAP. Le FNAP subventionne notamment les collectivités territoriales, qui représentent deux tiers des bénéficiaires des subventions entre 2013 et 2018, et peut financer jusqu’à 50 % du montant hors taxes de la facture de fouilles. Résumé chiffré : Indicateur Valeur (2023/2025) Projets d’aménagement reçus (2023) 45 444 Proportion de diagnostics prescrits 7,67 % Proportion de fouilles réalisées 1 % Taux RAP (2025) 0,71 €/m² Surface taxable minimale 3 000 m² Principaux bénéficiaires du FNAP Collectivités (2/3) Part maximale financée par le FNAP 50 % des coûts HT L’archéologie préventive en France est donc un dispositif structuré, financé par une taxe dédiée, mobilisant des acteurs publics et privés, et intervenant de façon ciblée pour préserver le patrimoine menacé par les aménagements contemporains MENACES SUR LE PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE Certes la mesure phare, l’article 15bis C qui permettait de contourner les évaluations archéologiques et environnementales pour les grands projets liés à la souveraineté nationale ou à la transition écologique est repoussée mais l'idée reste présente et peut à tout moment revenir dans le champ parlementaire et être adoptée. Cela intervient dans un contexte où seulement 9,9 % des aménagements font l’objet de diagnostics en France, selon les chiffres de 2024. Les archéologues dénoncent un risque accru de destruction irréversible de vestiges, alors que 50.000 hectares sont artificialisés annuellement. MOBILISATION SYNDICALE ET ACTIONS Face à cette réforme, les archéologues de l’Inrap et des Services régionaux avaient initié un mouvement de grève dès avril 2025, suivi de quatre rounds de négociations infructueuses avec le gouvernement. Le 10 juin 2025, une manifestation symbolique a eu lieu devant le Palais Rohan à Strasbourg, avec des banderoles dénonçant la « destruction archéologique préventive ». CONTEXTE POLITIQUE ET RÉSISTANCES Cette offensive s’inscrit dans une série de reculs : • Déclarations de la ministre de la Culture Rachida Dati en 2024 contre les fouilles « inutiles » • Tentative d’Eric Ciotti d’annuler un diagnostic archéologique dans les Alpes-Maritimes après une catastrophe naturelle • Allègement général des procédures environnementales et sociales dans le cadre de la loi Les syndicats alertent sur un démantèlement programmé des protections patrimoniales, malgré un coût modeste pour les aménageurs (1 à 3 % du budget total). La prochaine étape dépendra du vote des parlementaires sur le retrait – ou non – de l’article controversé.
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