Bulletin Numismatique n°252 18 LE COIN DU LIBRAIRE, RETOUR SUR L'OPÉRATION BERNHARD Plus de vingt ans après la publication du livre Les mystères nazis du lac Toplitz par Paul Le Caër, voici un nouvel ouvrage sur l'opération Bernhard. Paul Le Caêr était un témoin de cette opération ultra secrète et rocambolesque. Ici, un autre témoin, Adolf Burger, raconte son histoire et sa participation à cette même opération. L’opération Bernhard fut l’une des plus vastes et audacieuses entreprises de contrefaçon jamais menées, orchestrée par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Son objectif initial était de porter un coup fatal à l’économie britannique en inondant le Royaume-Uni de faux billets de la Banque d’Angleterre, dans l’espoir de provoquer une hyperinflation et de miner la confiance dans la Livre Sterling. Cette stratégie s’inspirait de l’expérience allemande de l’hyperinflation des années 1920, dont les conséquences économiques et sociales avaient été désastreuses. Le projet débute en 1940 sous le nom d’« opération Andreas », à l’initiative de Reinhard Heydrich, un proche collaborateur d’Hitler. Après une première phase technique menée par le Sicherheitsdienst (SD), l’opération est suspendue puis relancée en 1942 sous la direction du SS Bernhard Krüger, qui lui donne son nom. Krüger sélectionne alors des prisonniers juifs dotés de compétences en gravure, imprimerie, graphisme et finance, qu’il installe dans des ateliers isolés au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin. Les conditions de travail, bien que rudes, sont relativement meilleures que dans le reste du camp : les prisonniers bénéficient de rations supplémentaires, de cigarettes, de journaux et même d’activités récréatives, car leur savoir-faire est jugé indispensable à la réussite du projet. Leur mission consiste à reproduire à la perfection les billets britanniques, jusqu’aux filigranes, à la texture du papier et aux numéros de série. Les faussaires parviennent à fabriquer un papier identique au papier chiffon britannique, à graver des plaques d’impression d’une fidélité remarquable et à décoder le système de numérotation de la Banque d’Angleterre. Entre 132 et 300 millions de livres sterling en faux billets sont ainsi produits entre 1942 et 1945, ce qui représente la plus grande opération de faux-monnayage de l’histoire. Si le plan initial de larguer ces billets sur le Royaume-Uni n’est finalement pas mis en œuvre, la fausse monnaie est utilisée pour financer les opérations de renseignement allemandes et payer des agents, comme Elyesa Bazna, alias « Cicero », ou encore pour soutenir des opérations spéciales, telle la libération de Mussolini lors de l’opération Eiche. En 1944, l’opération tente de s’attaquer à la contrefaçon du Dollar américain, mais les difficultés techniques ralentissent le projet. Avec l’avancée des Alliés, la production est déplacée en Autriche, puis stoppée. Le matériel et une partie des billets sont détruits ou immergés dans des lacs alpins pour éviter qu’ils ne tombent aux mains ennemies. Les prisonniers impliqués, menacés d’exécution, sont finalement libérés à la faveur de la débâcle allemande et de l’arrivée des troupes américaines en mai 1945. L’opération Bernhard a marqué l’histoire par l’ampleur de ses moyens, la sophistication de ses techniques et l’utilisation cynique de la vie de prisonniers pour servir une guerre économique totale. Si elle n’a pas atteint son objectif de déstabilisation monétaire, elle demeure un exemple frappant de guerre psychologique et économique menée à l’échelle industrielle. Sephano Poddi, auteur de ce nouvel ouvrage, avait déjà préfacé le livre d'Adolf Burger publié en 2009 sous le titre « L'officina del diavolo ». Ici, il décrit et retrace l'Opération Bernhard initialement imaginée sous le nom d'Opération Andreas, des prémices à la mise en œuvre et finalement jusqu'à leur immersion dans les lacs Traunsee et Toplitz. Ensuite, Stefano Poddi revient sur sa rencontre en 2007 avec Adolf Burger, alors prisonnier à Birkenau et qui a été utilisé en sa qualité d'imprimeur par la SS pour la fabrication de ces faux billets. Une retranscription de l'interview est en fin d'ouvrage. En annexes, outre une bibliographie sélective, on trouvera un index des noms et enfin des tables avec les numéros et dates des différents billets contrefaits. Le livre est préfacé par Joseph E. Boling, spécialiste de la numismatique de la Seconde Guerre mondiale. Ce livre bien documenté et illustré revient donc sur ce qui fut sans doute la plus grande opération de contrefaçon de billets de l'Histoire mais ne néglige pas son aspect numismatique. À lire… Operation Bernhard - The Counterfeits of block 19 - History’s biggest counterfeiting swindle par Stefano Poddi, Roseto degli Abruzzi 2025, broché (21 x 29,5 cm) 90 pages, illustrations en couleur (en anglais), référence LO36, prix : 45 €. Laurent COMPAROT
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