Bulletin Numismatique n°247 41 ché un véritable traumatisme. Les Allemands ont encore en mémoire les années 1920 et la prudence les poussent à investir en moyenne 80 à 100 tonnes d’or par an. Le graphique parle ici de lui-même. Voilà donc deux vieilles antiennes qui tombent : le montant d’or de l’épargne des Français n’est pas ce que l’on nous vend et les Français, cédant à la propagande des banques et de leur leitmotiv « L’or n’a pas de rendement », ont perdu cette appétence légendaire qu’ils avaient pour le métal jaune. Dès lors, comment approcher la vérité sur le chiffre actuel de l’épargne métallique en or des Français ? C’est l’enquête que j’ai entreprise il y a maintenant deux ans. Les démonétisations nous donnent un premier résultat : il ne peut pas y avoir, aujourd’hui, plus de 2 625 tonnes de monnaies et jetons d’or, voire un peu moins en considérant qu’une bonne part du déficit de 416 tonnes est attribuable à des monnaies d’or. Par ailleurs la Banque de France détient dans ses coffres 60 tonnes de monnaies françaises et 62 tonnes de monnaies étrangères. Le chiffre maximum de monnaies françaises descend ainsi à environ 2 200 tonnes. Néanmoins la perte des monnaies n’est pas le fait unique des démonétisations. Les causes de ces pertes sont nombreuses et très diverses. Il n’est pas possible de les détailler ici, une simple liste convaincra le lecteur de l’importance des risques qui ont pesé sur les monnaies d’or françaises depuis la fin du XVIIIe siècle : Elles s’usent et sont vendues au poids aux joailliers. Elles sont perdues corps et bien et feront le bonheur des détectoristes. Elles sont fondues pour en extraire l’argent qui s’y logeait (les anciennes monnaies contenaient 60 à 70 millièmes d’argent par kilogramme de pièces). Dans un système monétaire bimétalliste, elles sont exportées dans des opérations d’arbitrage de devises ou de métaux. Elles sont fondues car, l’inflation s’installant, l’or contenu vaut bien plus que l’ancienne valeur faciale, ce n’est qu’à partir de 1919 que la fonte de pièces d’or sera réprimée. Elles sont remises à l’ennemi pour payer les indemnités de guerre exigées et financer les charges de troupes d’occupation (1815, 1871, 1940). Elles sont volées par l’occupant dans les foyers français et dans les banques. Elles sont aussi exportées pour servir de matière première à la création de monnaies étrangères (près de 300 tonnes de 20 francs ont été fondues pour la création en 1873 du Mark-or, US Dollar, etc.). Elles sont exportées par les touristes et les hommes d’affaires se rendant aux États-Unis et fondues sur place en application de la loi monétaire de 1857, pour permettre à la jeune monnaie d’or américaine de trouver sa place. Dans le cadre des souscriptions aux emprunts des chemins de fer russes, elles passent dans les caisses du Tsar, puis une part participe au financement de l’équipement et de l’armement des Russes blancs, et finalement une autre part disparaît après la défaite des Blancs. Elles sont requises par le gouvernement soit en faisant appel au patriotisme des Français (1915-1921), soit de façon autoritaire (1936). Enfin, elles sont utilisées en Belgique (en 1878, 62 % des 20 francs et 98,5 % des 10 francs étaient des monnaies d’or françaises) et en Suisse (en 1905, 63 % des 10 et 20 francs étaient des monnaies d’or françaises) comme monnaies courantes et y subissent les mêmes maux que leurs consœurs dans l’Hexagone… Toutes ces situations ne sont pas documentées. Les archives de la Banque de France et du ministère de l’Économie et des Finances ont permis parfois de quantifier certains de ces risques à la lecture de quelques études ou de comptes-rendus officiels. En se limitant aux seules données fiables le bilan le plus optimiste serait qu’il ne resterait aujourd’hui pas plus de 700 tonnes de monnaies d’or françaises dans les mains des Français, et de façon quasi certaine, 122 tonnes de monnaies françaises et étrangères à la Banque de France. Néanmoins cette conclusion ne prend pas en compte l’or fondu par les particuliers et les professionnels. L’estimation de 600 tonnes d’or utilisées de 1914 à 1928 à destination industrielle donnée par De Litra n’est pas comprise dans ce résultat de 700 tonnes. En prenant l’hypothèse que seulement 200 tonnes de monnaies d’or auraient été fondues pour cet usage, le montant de monnaies d’or survivantes en 2024 tomberait dès lors à 500 tonnes. De même le volume de monnaies d’or volées dans le Nord et l’Est pendant la Grande guerre (estimation de René Pupin : 100 tonnes), ou bien encore le volume de monnaies d’or exportées vers les États-Unis7 font partie des nombreux risques difficiles à quantifier qui impacteraient fortement le bilan ci-dessus. Outre toutes ces informations qui m’ont permis de cerner le montant maximum en monnaies d’or que les Français pourraient détenir, les archives m’ont offert quelques découvertes inattendues. La première est relative à la célèbre et très confidentielle 100 francs Bazor. Une monnaie d’or créée d’après la loi monétaire de 1928, mais autorisée pour la frappe seulement en mars 1935 et enfin frappée de 1935 à 1936 à 13 790 741 exemplaires8. Néanmoins la dépréciation du franc par rapport au prix de l’or n’a pas permis aux autorités monétaires de les mettre en circulation, leur valeur faciale étant alors de plus en plus dépassée par leur valeur intrinsèque mois après mois. Elles n’ont donc jamais quitté les coffres de la Banque de France avant leur démonétisation par la loi du 1er octobre 1936, et supposées avoir été fondues à cette occasion. Néanmoins, non seulement quelques exemplaires de cette pièce, n’ayant jamais été mise en circulation rappelons-le, circulent étrangement entre numismates d’une part, mais, d’autre part, l’inventaire de clôture de l’année 1960 mentionne la présence de 190 000 pièces de 100 francs Bazor dans l’encaisse-or de la Banque de France. Le montant en monnaies d’or de cette encaisse n’ayant pas significativement bougé entre 1960 et 2012, il est très probable que la Banque possède donc encore aujourd’hui ces 190 000 pièces dans ses coffres. L’autre découverte est tout aussi inattendue. Tous les numismates connaissent les avatars de ces 20 francs-or baptisées « Pinay ». Ces copies – et non pas refrappes – de monnaies L’OR DES FRANÇAIS : UNE ENQUÊTE SUR L’ÉPARGNE OR DES FRANÇAIS
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