Bulletin Numismatique n°247 40 Voilà plus de 20 ans que je m’intéresse à l’épargne en métaux précieux. J’y suis arrivé après avoir goûté au fantasme de croire que la valorisation d’un portefeuille d’actions pouvait grimper aux arbres. Dépité par le retournement soudain de l’année 2000, j’ai alors cherché à comprendre pourquoi ce que toute la presse nous vendait comme une vérité s’était avéré totalement inepte. Mes lectures m’ont conduit à découvrir l’opportunité que présentait l’épargne en métaux précieux et en or plus particulièrement. Dans celles-ci, les Français étaient présentés comme les champions du monde en matière de thésaurisation du métal jaune. René Sédillot, formidable conteur de l’histoire financière, au fil de ses nombreux ouvrages égrenait les records : en 1958, les Français auraient détenu 3 900 tonnes d’or, en 1961 6 000 tonnes et en 1970 4 700 tonnes ; une part très majoritaire de cette épargne étant, selon lui, sous la forme de monnaies d’or. Franz Pick, ardent promoteur de la cause de la thésaurisation aurifère, affichait, peu ou prou, les mêmes statistiques. Il précise dans ses écrits que les Français auraient détenu 20 % du stock d’or thésaurisé de la planète en 1970 après en avoir détenu le tiers en 1957. Ce n’est que des années plus tard que je découvrais que Sédillot et Pick étaient de connivence ayant co-publié des ouvrages en anglais sur l’univers des devises. Lequel a influencé l’autre ? Bien entendu ces auteurs faisaient encore autorité dans les années 2000. La presse reprenait leur propos. Ainsi Les Échos, journal spécialisé dans les domaines économique et financier depuis 1908, publiait le 3 août 2004, sous la plume du journaliste Massimo Prandi, que les Français détenaient « selon plusieurs estimations, entre 3000 et 5000 tonnes ». Si le prestigieux journal Les Échos l’écrit, c’est sans aucun doute que c’est vrai ! Aussi les uns et les autres, tel Panurge, reprendront ces chiffres, sans que personne ne s’interroge sur l’origine de ces estimations et la méthode ayant permis de les obtenir. La liste des reprises est longue. Je me limiterai à deux exemples, significatifs par le caractère scientifique qu’ont voulu donner les auteurs à leur publication. En 2012 Thi Hong Van Hoang, professeur-assistant à l’Université de Montpellier, reprend dans un mémoire publié par la Revue Numismatique1, les chiffres de Pradi en le citant, ainsi que des chiffres tirés d’une étude de la Banque de France de 1962 (auteur et méthode inconnus) et les chiffres de la revue Le Creuset faisant état en 1975 de 3500 tonnes thésaurisées, se partageant en 2500 tonnes de monnaies d’or et 1 000 tonnes de lingots et barres. Puis en 2018 François de Lassus de CPoR-devises précise, dans les Annales des Mines2 citant des « sources autorisées », que cette épargne aurifère est constituée de 2 100 tonnes de monnaies d’or et de 1 100 tonnes de lingots. Je confesse que pendant très longtemps j’ai pris pour argent comptant les affirmations de René Sédillot, et les reprises de celui-ci, sur le niveau d’épargne des Français. Mon sentiment a évolué en lisant les ouvrages remarquables de Didier Bruneel, directeur général honoraire de la Banque de France. Dans deux publications3 extrêmement documentées et magnifiquement illustrées, il évoque de façon détaillée les évolutions de la réserve métallique de la Banque de France et plus particulièrement les démonétisations qui ont frappé le stock de monnaie d’or française après 1945. La simple lecture de ces deux ouvrages, qui néanmoins ne couvrent pas tous les épisodes malheureux qui ont impacté la monnaie d’or, devrait permettre à n’importe qui de comprendre qu’il est impensable qu’il puisse encore rester de nos jours 2 100 tonnes de monnaies d’or françaises et encore moins 3 000 tonnes4, alors que de 1803 à 1921 la France a mis en circulation 3 526 tonnes de monnaies d’or (monnaies de 5 à 100 francs or), et de 1951 à 1960 218 tonnes d’or sous la forme de jetons (copie de 20 francs Marianne-Coq5). Au total ceci représente donc 3 744 tonnes d’or ayant circulé et pouvant avoir été potentiellement thésaurisées par les Français et la Banque de France. En face de ces émissions, à elles seules les démonétisations de monnaies d’or (destinées à la refonte), dont les chiffres officiels détaillés sont consultables dans les ouvrages périodiques de l’Administration des monnaies et des médailles6, représentent en 1950 un total de 1 119 tonnes de fin. Enfin, et pour achever de se convaincre, il suffit de parcourir les rapports du World Gold Council donnant le solde annuel des transactions d’or d’investissement par pays. Ce bilan démontre que les épargnants français ont été vendeurs au moins depuis les années 1990, et ceci presque tous les ans. Le graphique ci-dessous consolide toutes les données obtenues dans ces rapports de 1992 à 2023 pour la France, l’Allemagne et l’Europe. Évolution des soldes transactions physiques d’or d’investissement de 1992 à 2023. Source des données rapports du WGC – Graphique : Yannick COLLEU À la découverte de ce graphique, le constat est sans appel ! Pour la seule période allant de 1992 à 2023 le déficit d’or d’investissement de l’épargne métallique des Français s’élève à 416 tonnes d’or fin. Sachant que le prix de l’or a été dans une tendance fortement baissière depuis 1983, ce déficit pourrait probablement se situer autour de 500 tonnes. Même après la crise de 2008, le solde des transactions d’investissement de ces Français, pourtant toujours considérés comme les champions de l’épargne métallique, dépasse rarement 1 tonne de fin alors qu’en Allemagne la crise a déclenL’OR DES FRANÇAIS : UNE ENQUÊTE SUR L’ÉPARGNE OR DES FRANÇAIS
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