Bulletin Numismatique n°242 44 Normalement, une monnaie trouée n’a pas de valeur. Elle a été démonétisée et elle a été ainsi retirée de la circulation, perdant son rôle monétaire pour en revêtir un autr. Cet autre rôle peut prendre de multiples visages. Elle peut devenir un bijou par exemple, mais trouer détériore, la monter avec un entourage, c’est la mettre en situation. Trouer, c’est aussi un moyen de sacraliser ou de diaboliser une monnaie, sans pour cela la détruire totalement. Mais alors pourquoi trouer une monnaie ? C’est créer un talisman à une époque où le porte-clef n’existe pas. Le trou et sa position sur la monnaie a son importance. Une monnaie trouée volontairement en son centre qui n’est pas une « Lindauer » n’aura pas le même sens et la même portée qu’une autre percée à 12 heures au-dessus du portrait ou du sujet principal. La place du trou a donc son importante et porte une signification particulière. La datation du trou l’est aussi et c’est bien cela le plus difficile à apprécier. En effet si une monnaie antique est trouée à l’époque contemporaine, c’est une forme de destruction gratuite-que le collectionneur ne pratiquera jamais. Le trou doit être contemporain ou légèrement postérieur à la date d’émission de la monnaie. Ces monnaies présentent souvent une autre caractéristique. Elles sont très usées et ont donc circulé pendant longtemps. Dans la Live Auction du 4 juin prochain, nous vous proposons deux deniers troués de la dynastie julio-claudienne (27 a.C. – 68 p. C.), mais pas n’importe lesquels. Ces deux deniers ont été frappés par Caligula afin d’honorer la mémoire de son grand-père Auguste et Claude, pour celle de son père Drusus l’Ancien, le fils de Livie et de Tiberius Claudius Nero, le beau-fils d’Auguste. Ces deux deniers sont donc des monnaies de restitutio qui honorent des personnages décédés depuis longtemps : Drusus est mort en 9 avant J.-C., Auguste en 14 après J.-C. Elles sont frappées plus de vingt ans après la mort d’Auguste et la seconde près de cinquante ans après la mort de Drusus. Il est important de noter que nos deux deniers qui ont des axes des coins à 9h pour Auguste et à 2h pour Drusus n’ont pas été troués au droit mais au revers, le trou se trouvant situé à 12 heures au-dessus de la tête radiée d’Auguste pour le denier de Caligula et au-dessus du revers pour le trophée d’armes du denier de Drusus. Si le choix de mettre en avant Auguste pour le denier de Caligula s’explique facilement avec la place et l’aura que détient le fondateur du Principat et de ce que nous appelons la dynastie Julio-Claudienne, le fait de ne pas choisir la tête de Drusus pour le second, pour privilégier le revers avec le trophée d’armes, rappelant ses victoires en Germanie, est moins compréhensible et justifié. Les deniers de la République et de la période Julio-Claudienne furent largement refondus après la réforme de Néron en 64 et très certainement totalement démonétisés par Trajan vers 107, fournissant l’occasion de restituer massivement des deniers et aurei de la République à Titus. Mais alors où aller chercher une réponse à cette méthode ? Il faut peut-être imaginer un autre scénario qui se trouve au-delà du limes, chez les « Barbares », où les deniers d’avant la réforme de Néron avaient la « cote » car ces barbares appréciaient les deniers de la République et du début du Principat qui étaient plus lourds et d’un meilleur titre que ceux frappés par Néron, après la réforme monétaire. Il en sera de même au IIIe siècle avec la réforme de Caracalla. Si le poids du denier de Caligula (3,70 g) est correct, celui du denier de Claude est beaucoup plus léger (2,67 g). Ce denier pourrait bien être fourré. Il suffit d’examiner attentivement son droit et son revers. Nous avons le lien avec la troisième pièce de notre sélection, un denier de Claude et d’Agrippine Jeune, la fille d’Agrippa et de Julie, fille d’Auguste, qui pèse seulement 2,51 g et présente les stigmates d’un denier fourré. Une monnaie fourrée est une pièce en métal précieux en théorie qui présente généralement une âme en métal vil avec une argenture superficielle. Ces deniers qui conservèrent leur cote, même après la fin de la dynastie en 68, présentent un taux de survie important. Un denier fourré est un faux d’époque dont la valeur absolue (poids d’argent de fin) est bien inférieure à sa valeur réelle. Ces deniers se rencontrent souvent isolés sur les sites et encore une fois à l’extérieur du limes. L’ensemble de ces considérations ont pour but de vous montrer que ces deniers troués ou fourrés qui sont souvent délaissés ont une valeur sociologique et historique indéniable et méritent l’attention des collectionneurs. Ils sont souvent moins « beaux » que leurs alter ego ne présentant pas ces stigmates, mais sont aussi beaucoup moins chers et constituent des témoignages indispensables de l’histoire. Ne les boudez pas et offrez-leur la place qu’ils méritent dans votre médaillier. Viviane BÉCLIN, Marie BRILLANT et Laurent SCHMITT PERCÉES ET FOURRÉES DES JULIO-CLAUDIENS Lr 02 : 69€
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