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Bulletin Numismatique n°242 35 Collectionneurs ou pas, nous nous sommes tous émerveillés à un moment ou à un autre sur ces grands modules frappés à cheval entre la fin du Ve siècle et le début du IVe siècle avant J.-C. Qui n’a pas rêvé de posséder ou de pouvoir toucher un des ces trop fameux décadrachmes de Syracuse. Signés par Kimon ou par Évainète, ce sont de véritables chefs-d’œuvres, expression de l’art grec et de la maîtrise de ses graveurs, immortalisés dans le métal pour l’éternité. Pouvons-nous imaginer que quelqu’un ait essayé de payer avec. Leur pouvoir d’achat (10 drachmes), leur poids (43 g environ), leur taille (près de 35 mm) en auraient rendu l’utilisation superflue, voire impossible. Ce sont des monnaies commémoratives afin de sublimer et de rehausser le prestige de la cité de Syracuse et de son tyran Denys l’Ancien. Si, aujourd’hui, les décadrachmes signés Kimon (c. 405-400 a. C.) semblent bien avoir précédé ceux signés Évainète (c. 400-390 a. C.), la tradition qui voulait qu’ils aient été frappés à l’occasion de la victoire de Syracuse sur Athènes en 413 avant J.-C., conséquence de la désastreuse expédition des Athéniens en Sicile (415-413 avant J.-C.) qui se termine par la destruction de la flotte athénienne, la mise à mort du chef de l’expédition Nicias, des milliers de prisonniers vendus comme esclaves ou enfermés dans les Latomies (carrières de pierres) de la cité, où un grand nombre d’entre eux moururent de soif et de faim, reste légendaire. En fait ces grand modules d’argent comme leur alter ego d’or (octoboles, pentoboles, tetrobole, trihemiobole) furent frappés à l’instigation de Denys l’Ancien (431-405-367 avant J.- C.), d’abord chef des opérations au moment de l’offensive carthaginoise contre les cités grecques de Sicile en 406-405 avant J.-C., qui devint Tyran de la cité et devait le rester jusqu’à sa mort. Il est plus connu par l’épisode de « l’épée de Damoclès », grâce à Cicéron qui l’a popularisé. Mais quel est le point commun entre le décadrachme de Denys l’Ancien avec le tétradrachme d’Agathoclès (317-289 avant J.-C.) ? Agathoclès a aussi été tyran de Syracuse (317305 avant J.-C.) auquel il ajoute le titre de basileos à compter de cette date et jusqu’à sa mort. Mais en réalité, ce que nous voulons mettre en avant, à un siècle de distance, est la ressemblance entre le décadrachme de Denys l’Ancien et le tétradrachme d’Agathoclès. Si droit et revers sont inversés, ils présentent tous les deux ce quadrige symbole de victoire (Nikè) et tous les deux présentent un un visage de la nymphe Aréthuse accostée des dauphins qui rappellent la légende entourant la nymphe. En effet Aréthuse était une nymphe qui accompagnait Artémis. Poursuivie par le satyre Alphée en Arcadie, elle implora la divinité afin d’échapper à son poursuivant. Afin d’accéder à sa demande, elle est transformée en ruisseau, mais Alphée est à son tour transformé en torrent impétueux, cherchant à rejoindre l’être désiré. Arrivée au bord des flots, Aréthuse implore encore une fois l’intercession divine, qui accède à sa demande en lui faisant traverser la mer pour arriver dans l’île d’Ortygie à Syracuse où aujourd’hui encore, visiteur, vous pouvez découvrir ce phénomène hydrographique et vous pencher au-dessus de la fontaine d’Aréthuse, immortalisée par Ovide dans les Métamorphoses (4, 494). Certains d’entre vous pourront interjeter que les deux monnaies, en dehors de la typologie, ne peuvent être comparées, le travail d’Évainète surpassant celui de l’artiste qui a gravé la pièce d’Agathoclès, pâle copie d’un prototype, grandiose et inégalé. Mais regardez de plus près, la copie n’a rien à envier à l’original. Le triskèle (symbole de la Sicile et de ses trois caps) a remplacé la Niké sur le tétradrachme d’Agathoclès et les armes de l’exergue (Atlha ou récompense en souvenir d’une victoire olympique ou bien la consécration des armes prises aux Athéniens lors de la défaite de 413 avant J.-C.) qui ont disparu et sont remplacées par l’ethnique de la cité. Mais la nymphe présente la même grâce couronnée d’épis, flottant, comme suspendue entre les dauphins l’entourant. Entre les deux modèles en dehors du style et de la main du maître, un dauphin s’est échappé du flan ! Nous ne pouvons pas imaginer que le second, Agathoclès, n’ait pas songé au prototype de son prédécesseur, Denys l’Ancien, pour s’en inspirer, voire le copier servilement afin de mieux affirmer son pouvoir et établir sa filiation, garantir sa légitimité et son pouvoir. Hier comme aujourd’hui et certainement encore demain, Syracuse et sa nymphe, Aréthuse, continueront d’exercer cette fascination qui fait que depuis plus de 25 siècles, nous restons sous le charme de cette jeune fille diaphane, figée dans le métal, mais qui semble s’animer quand on fait miroiter le flan de la pièce, en fonction de la lumière. Ces deux pièces sont un témoin de l’histoire mouvementée des périodes classiques et hellénistiques qui fait de Syracuse la principale cité de la Sicile. Nous espérons qu’après avoir parcouru cet article, vous porterez un œil différent sur le tétradrachme d’Agathoclès sans renier pour autant la beauté plastique que procure le métal et la géniale interprétation qu’Évainète a su soulever avec sa perception et le traitement artistique de son Aréthuse, immortalisée pour l’éternité pour notre plus grande satisfaction. Ces deux monnaies de la prochaine Live Auction se contemplent et se comparent et constituent une invitation au voyage ! Marie BRILLANT et Laurent SCHMITT SYRACUSE DE DENYS L’ANCIEN À AGATHOCLES : LE RÈGNE D’ARÉTHUSE

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