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Bulletin Numismatique n°242 29 La monnaie qui est proposée dans la Live Auction du 4 juin 2024 est énigmatique. Si nous n’avions pas les restes des lettres au-dessus du dauphin au droit, nous pourrions penser avoir affaire à une monnaie d’inspiration égyptienne. Mais vous savez tous qu’aucune monnaie pharaonique n’a été frappée en dehors du monnayage bimétallique de Nectanebo II (360-343 avant J.-C.). Notre exemplaire est plus ancien de presque un siècle et présente au droit des lettres phéniciennes (les Phéniciens sont les inventeurs de l’alphabet). Mais alors pourquoi cette chouette affublée d’un fléau se retrouve-t-elle sur une monnaie phénicienne ? Au droit, si le dauphin peut s’expliquer car Tyr était construite en partie sur la terre ferme et sur une île, que fait le coquillage sous les flots ? Nous sommes dans une région qui sous le Moyen et le Nouvel Empire a entretenu des relations commerciales, diplomatiques parfois politiques avec les pharaons d’Égypte. Le monnayage de Tyr débute dans la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C. et fait référence aux origines maritimes de la cité et au commerce qu’elle entretenait avec l’ensemble des cités et des royaumes de la Méditerranée Orientale avant de se lancer à la conquête maritime de l’autre côté de la mer à partir d’abord de ses comptoirs, puis de Carthage, sa colonie fondée au IXe siècle avant J.-C. Le coquillage sous les flots avec le dauphin est le murex (Murex trunculus ou rocher fascié) qui contenait un suc tinctorial qui permettait de réaliser la teinture pourpre, si prisée et si chère dans l’Antiquité. Il est décrit par Pline l’Ancien, HN, mais sous une autre espèce, le Bolinus brandaris. La pourpre, à la couleur si caractéristique, devenue une expression commune, « la pourpre de Tyr », qui rappelons-le était largement utilisée par les pharaons, les rois et les princes ainsi que les empereurs romains. Elle coûtait extrêmement cher, jusqu’à 150 000 deniers pour la meilleure qualité dans l’Édit du Maximum de Dioclétien en 300/301 ! Au revers, la chouette rappelle le panthéon égyptien avec son double fléau caractéristique reposant sur l’animal hiératique qui orna les shekels pendant longtemps. Ce type se retrouve au revers du monnayage pendant un siècle du milieu du Ve au milieu du IVe siècle avant J.-C., sur l’unité (le shekel) et ses divisionnaires du quart de shekel au 1/60e shekel (poids 0,08 g). L’étalon monétaire employé est le phénicien avec un shekel dont le poids peut varier entre 13,20 g et 14,00 g. Tyr adopte à partir de 357/6 avant J.-C. un étalon plus léger, décrit comme attique, basé sur un shekel à 8,50g qui conserve le même type au revers et qui reste celui de la cité jusqu’à l’arrivée d’Alexandre le Grand. Mais Tyr était passé d’abord entre les mains des Égyptiens (Psamétique Ier) puis des Assyriens, avant d’entrer dans l’orbite des Perses avec Cyrus. La ville fournit des navires de guerre à Cambyse en 525 avant J.-C. lors de la conquête de l’Égypte. Sidon supplante politiquement Tyr à partir du Ve siècle et la cité se révolte plusieurs fois contre l’autorité achéménide à la fin du Ve siècle et au début du IVe siècle, alliée un moment, à Évagoras Ier, tyran de Chypre. Tyr, d’après la tradition semble avoir été fondée par des colons venant de Sidon, sa future grande rivale. Des colons tyriens fondèrent Carthage en 814 avant J.-C. Tyr était l'un des principaux ports de Phénicie et l'une des places commerciales les plus importantes de la Méditerranée Orientale. Tyr refusa de se soumettre à Alexandre le Grand en 332 avant J.-C. Le siège de la ville dura sept mois de janvier à août dans des conditions très difficiles. Alexandre se montra impitoyable et fit massacrer ou réduisit en esclavage la population. Tyr ne disparut pas, fut rebâtie. Après la mort d'Alexandre, elle changea souvent de maître : Perdiccas en 321 AC., Ptolémée l'année suivante, puis ce fut le tour d'Antigone le Borgne en 314 avant de repasser dans les mains de Ptolémée deux ans plus tard. En 294 avant J.-C., Tyr entra dans l'orbite séleucide. Après 274 avant J.-C., une nouvelle ère semble débuter pour Tyr. La ville sera autonome après 126 avant J.-C. et connaîtra un nouvel essor politique et économique sans oublier monétaire qui perdurera sous la domination romaine. Shekel, Tyr, Phénicie, 437-425 avant J.-C. (Ar, 13,67 g, 21,5 mm, 3h) (étalon phénicien, poids théorique 13,44 g, 2 sicles) A/ Lettres phéniciennes (SLSN) Dauphin sautant des flots au-dessus des vagues, représentées par des zizag ; à l’exergue, un murex tourné à droite ; grènetis circulaire. R/ Anépigraphe Chouette debout à droite, la tête de face, tenant transversalement un sceptre et un fléau égyptien ; le tout dans les restes d’un carré creux qui suit les contours de l’animal. BMC 2, pl. XXVIII/ 10 – B Traité 980, pl. CXXII, 1 – GC5906 (750£) – Dewing 2669 – B 1979, pl. XXXV/ 1 – HGCS 10/ 314 – PC 50, pl. LXXIX J. Rouvier, Numismatique des villes de la Phénicie : Tyr, JIAN, 1903, p. 269-332, n° 1775 - J. Elayi et A.G. Elayi, The Coinage of the Phoenician City of Tyre in the Persian Period (5th-4th cent. BCE), Peeters, Leuven 2009. n° 29-181 Monnaie sur un flan légèrement décentré au revers. Très beau dauphin. Patine grise. Très rare. TTB+ 1 500€/2 500€ Type semi-anépigraphe. Précédemment, il était présenté comme un double shekel, mais il s’agit bien en fait d’un shekel, correspondant à deux sicles. La chronologie de ce type est encore mal assurée. Attribuée à Hiram (480 avant J.-C.) dans les ouvrages anciens, puis dans la deuxième moitié du Ve siècle avant J.-C. O. Hoover précise la chronologie de ce type en plaçant l’émission entre 437 et 425 avant J.-C. L’influence égyptienne avec la chouette et le double fléau n’est pas sans rappeler le dieu Horus (à tête de faucon). Précédemment, ce type était présenté comme un dishekel. Ce type de pièce reste rare et recherché, historiquement et iconographiquement intéressant. Nous n’avons pas évoqué la manière particulière dont le revers est frappé, à la fois incus et en relief. Ce système se trouve utilisé parfois dans le monde achéménide par les satrapes. Nous avons proposé il y a longtemps un shekel de ce type (MONNAIES 51, n° 209 qui a avait été vendu 3450€ avec cinq offres). Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Marie BRILLANT et Laurent SCHMITT SHEKEL DE TYR : UNE « PUB » POUR LA POURPRE ?

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