Bulletin Numismatique n°241 71 figure 1 - ©Gadoury.com figure 2 - ©Gadoury.com Nous sommes début 1863. La guerre d’Italie (18581859) a vu la victoire de la France et du royaume de Piémont-Sardaigne sur l’Autriche, l’armée française remportant les célèbres victoires de Magenta et de Solférino. Suite à cette victoire, l’Autriche a cédé au roi de Piémont-Sardaigne la Lombardie et ce dernier a donné à Napoléon III la Savoie et le comté de Nice en échange de son concours décisif. Le 2 février 1861, l’empereur des Français Napoléon III et le prince de Monaco Charles III concluent le traité de Paris qui remplace les traités antérieurs, notamment le traité de Péronne (1641) qui était la pierre angulaire des relations franco-monégasques et le traité de Stupinigi (1817) qui liait la principauté de Monaco au royaume de Piémont-Sardaigne, substituée à la France après la défaite de Waterloo. Un plébiscite avait été organisé à Nice et étendu à Menton et Roquebrune, villes de la principauté de Monaco en litige avec le prince Charles III. Ce dernier accepta alors, par le traité de Paris précité, la cession à la France de Menton et Roquebrune moyennant une indemnité de 4 millions de francs-or. En fait, cette opération ne coûtait rien à la France car elle devait à la principauté, depuis 1815, une somme de 4,5 millions de francs-or qu’elle refusa de payer après le traité de Stupinigi. La cession à la France de Menton et Roquebrune représentait une lourde perte pour la principauté dont Menton était alors la capitale économique, Monaco restant la capitale politique. Avec cette cession, la principauté perdait 90% de son territoire et 83% de sa population ainsi que toutes ses ressources. La principauté, réduite au Rocher de Monaco et à ses environs immédiats (port de la Condamine, plage de Fonvieille, plateau des Spélugues qui deviendra Monte-Carlo) n’était plus viable et menacée de vente rapide à la France si de nouvelles ressources n’étaient pas trouvées. À cette fin, Charles III se lança dans un pari : assurer la survie de Monaco grâce aux ressources procurées par un casino. D’où la création du célèbre Casino de Monte-Carlo et de sa société gestionnaire, la « Société des Bains de Mer et Cercle des Étrangers de Monaco ». Ce casino, confié à François Blanc qui avait déjà l’expérience des casinos en Allemagne, rencontra rapidement le succès escompté. Jusqu’à la guerre de 1914-1918, il assura la survie de la principauté de Monaco et contribua même à sa prospérité. Très rapidement, François Blanc introduisit l’usage de jetons de jeu en argent. Techniquement, il n’était plus possible de frapper ces jetons à Monaco où avait fonctionné un atelier monétaire installé au Palais de 1837 à 1841. Cet atelier avait disparu en 1842 et le matériel de fabrication, dont le célèbre balancier de Droz dit « aux lions » avait été revendu à la Monnaie de Paris d’où il venait initialement. François Blanc et Charles III s’adressèrent alors à la Monnaie de Paris afin que celle-ci frappe en 1863 des jetons d’argent de deux francs destinés à l’usage au Casino. La Monnaie de Paris accepta cette commande. Ayant présenté en 2007 une communication sur ce sujet aux Journées numismatiques de Marseille (cf. BSFN de juin 2007), je dois aujourd’hui à l’obligeance et à l’amitié d’Antoine Clerc et de Federico Pastrone de disposer d’une copie des procès-verbaux de frappe des jetons de deux francs dans les deux types connus : 2 francs et deux francs. Ces textes précisent qu’une première émission de jetons en argent eut lieu le 27 avril 1863 avec une quantité frappée de 600 jetons et une seconde émission de 2 600 jetons le 1er mai 1863. La première émission, de quantité réduite, concerne les jetons de 2 francs (poids moyen 7,07 à 7,08g). La seconde émission, plus importante, concerne les jetons de deux francs (poids moyen 6,95g). Ces deux émissions correspondent aux nos MC122a et MC 122b du « Gadoury rouge » 2023 (fig. 1 et 2). Les documents de référence sont conservés aux archives de la Monnaie de Paris, à Savigny-le-Temple, sous la référence série X, Ms 328, f°70v et 72r. Charles III de Monaco, François Blanc et la Monnaie de Paris furent très satisfaits de cette production. Aussi la convention de voisinage franco-monégasque de 1865, prévue par le traité de 1861, spécifia-t-elle dans son article 17 que si le prince de Monaco entendait mettre en œuvre son droit de monnayage, affirmé depuis 1612 et reconnu depuis 1628, ses monnaies devaient être désormais frappées par la Monnaie de Paris (article 17 de la Convention). Ce monopole de fabrication des monnaies monégasques, accordé à la Monnaie de Paris, existe toujours car il a été confirmé en 1912, 1963, 2001 et 2011. C’est ainsi que tous les euros monégasques ont été frappés à la Monnaie de Paris et montrent les différents de cette institution (directeur et graveur). Charles III attendit une dizaine d’années après la convention de 1865 pour battre monnaie. Il prit sa décision en 1874 et choisit alors de faire frapper des pièces de 100 francs-or. Toutefois, la cassure du coin de cette espèce en retarda la fabrication jusqu’en 1882 et, dans l’intervalle, il fut décidé d’émettre une certaine quantité de pièces de 20 francs. Ces deux espèces, 20F et 100F, furent frappées pour satisfaire aux besoins du Casino de Monte-Carlo. Il en fut de même pour les pièces de 100 francs-or de son successeur Albert Ier. Il faut noter que la fabrication des grosses pièces de 100 francsor Charles III et Albert Ier, pour les besoins du Casino de Monte-Carlo, excita l’imagination de certains numismates du XXe siècle. Remontant l’horloge du temps, ils déduisirent de ces émissions de grosses pièces d’or pour les besoins du jeu que les multiples d’or de Louis XIII créés par Jean Warin en 1640 dans un but technique de maîtrise parfaite de ses machines étaient, selon eux, destinés à la table de jeu du roi. Ils ignoraient simplement que Louis XIII ne jouait pas et qu’à la table de Louis XIV on jouait sur parole. Christian CHARLET QUAND LA FRAPPE DES JETONS DE CASINO PRÉCÈDE CELLE DE MONNAIES AUXQUELLES ILS SERVENT DE RÉFÉRENCE
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