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Bulletin Numismatique n°241 47 La Live Auction du 4 juin 2024 recèle des trésors pour le vocabulaire et pas seulement ! Elle propose un énigmatique denier de la République romaine anépigraphe et anonyme qui présente au revers une double cornucopiae ! Voilà trois termes qui méritent une explication de texte, bien que les deux premiers termes soient explicites ! Une monnaie anonyme se caractérise par le fait qu’elle n’est pas attribuée, autrement elle serait nominative, c’est une lapalissade. Si nous nous fions au dictionnaire de Numismatique « Larousse » sous la direction de Michel Amandry, « anonyme se dit d’une monnaie ne portant aucune mention d’autorité émettrice ». Cependant, au revers, vous avez bien une lettre sous le sujet, un petit Q. Elle n’est donc pas totalement anépigraphe. Si nous faisons encore une fois appel au « Larousse », nous trouvons la définition suivante. « Anépigraphe se dit d’une monnaie (ou d’une face) ne portant pas de légende ». Notre denier est donc bien anépigraphe pour le droit et épigraphe pour le revers avec sa lettre Q, mais qui ne nous dit pas grand-chose de son autorité émettrice. D’ailleurs quand on regarde la pièce, elle fait penser à une monnaie hellénistique, en particulier pour les Lagides (les Ptolémées régnant en Égypte entre 323 et 30 avant J.-C.) qui présente souvent une ou plusieurs cornucopiæ au revers, mais plutôt réservée pour le monnayage d’or. Cette fois ci, ni le « Galléazzi », ni le « Larousse » ne viendront à notre secours. Il faut se reporter à notre bon vieux « Gaffiot » où à la page 432, accompagnée d’un dessin, nous découvrons que pour cornu copia, plutôt que cornucopia, nous sommes en présence d’une corne d’abondance tout simplement mot féminin. Mais alors le cornucopiæ, c’est quoi ? Tout simplement la marque du pluriel pour deux cornes d’abondance. Nous avons réussi à résoudre une partie de notre énigme, mais pas de notre dilemme. Pour qui a bien pu être frappée cette pièce ? Nous allons maintenant essayer de répondre à cette question. Au droit, nous avons une tête féminine jeune à droite coiffée d’une stéphané (couronne) ici en l’occurrence, plutôt un diadème posé dans les cheveux, un collier et des boucles d’oreille. Que l’on peut identifier à une déesse, Vénus (Aphrodite, déesse de l’Amour) dans le cas présent. Mais nous ne savons pas encore pour qui ni à quelle occasion cette monnaie pourrait avoir été frappée ? Nous sommes en présence d’une monnaie qui a une masse de 3,88 g, un diamètre de 18 mm et un axe des coins à 12 heures. Nous pourrions donc avoir affaire à une drachme hellénistique légère aussi bien qu’à un denier romain. C’est le revers qui nous offre une partie de la solution. Le Q ne se rencontre pas dans l’alphabet grec souvent transcrit alors par un kappa (K). En conséquence, nous sommes certainement en présence d’une monnaie romaine, un denier dont le poids est de 3,96 g, taillé au 1/82 L. (masse théorique de 325 g environ et qui signifie que l’on taillait 82 deniers dans une livre romaine) et avec Vénus au droit. Ce denier qui présente une tête de déesse a peu de chance d’avoir été frappé sous le Principat. Il nous faut donc remonter jusqu’à la République afin d’en trouver l’origine. Quand on s’intéresse à cette période, il nous faut consulter différents ouvrages et leurs indexes quand ils en possèdent. Débutons par le « Babelon » publié au XIXe siècle (n° 33 pour le denier), le seul en français, puis le « Grueber », paru en 1910 (BMC/RR vol II, 18 (East), pl. 110/12), le « Sydenham » en 1951 (CCR 755), le « Crawford » en 1974 (CRR 375/2), le « Seaby » en 1978 (RSC 1/ 33), le « Sear » en 2000 (RCV 1/303) et nous pourrions encore allonger cette liste d’une dizaine d’ouvrages ! Il reste à vous donner la solution. Ce denier anonyme qui ne porte au revers que ce Q pour Quæstor (Questeur) à été fabriqué à l’instigation de Lucius Cornelius Sylla (138-78 av. J.- C.) en 81 avant J.-C., pour un atelier non identifié, comme défini, « oriental » alors que Babelon pensait à un atelier d’Italie du Sud au moment où Sylla s’oppose aux Marianistes. Il rapprochait notre denier de bronze (semis) frappé dans le Bruttium par Vibio Valentia (Hipponion) au IIe siècle avant J.-C. (HGCS 1/ 1407 = HN Italy 2263). Outre le denier, il existe aussi un rarissime aureus (or) frappé aux mêmes types. Quant au denier, il est très rare, M. Crawford estime le nombre de coins à seulement 10 qui auraient servi à frapper des deniers. Et si ce denier au revers « égyptiaque » avait bien été frappé en Orient, et pourquoi pas dans un atelier itinérant au moment où Sylla essayait d’imposer Ptolémée XI Alexandre, fils de Ptolémée X ? Le nouveau roi fit assassiner Bérénice III avant d’être éliminé lui-même, sans héritier en 80 avant J.-C., marquant l’ingérence de plus en plus prégnante de Rome sur le royaume lagide, si important pour l’approvisionnement de Rome. Vous pouvez imaginer que ce denier n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets ! Marie BRILLANT et Laurent SCHMITT VOCABULAIRE : ANÉPIGRAPHE : PAS SI ANONYME QUE CELA OU À QUI LA DOUBLE CORNUCOPIAE ?

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