Bulletin Numismatique n°238 51 Pendant la première période de la Troisième République (1870-1914), les « monnaies de fantaisie », médailles, jetons et autres objets monétiformes furent relativement nombreux. Tant comme signes de propagande que comme manifestations satiriques d’hostilité à l’égard des personnages représentés. L’excellent ouvrage de Christian Schweyer, Histoire des monnaies satiriques, paru en 2016, constitue l’ouvrage de référence pour tout numismate qui s’intéresse à ces fabrications, témoignages de l’histoire mouvementée de la Troisième République. À la page 510, fig. 27, figure une médaille au motif de la pièce de 5 francs en argent, dite « à l’Hercule », montrant de l’autre côté le général Boulanger coiffé d’un bicorne. Christian Schweyer indique que cet objet monétiforme est en carton recouvert de métal mais qu’il existerait également en argent. Par ailleurs, il s’interroge sur le véritable caractère de cet objet : médaille de propagande en faveur du général Boulanger ou, au contraire, médaille satirique hostile au général comme le pensent certains numismates à cause de la légende « EXMINISTRE DE LA FRANCE ». J’ai donc repris l’étude de cette médaille afin de pouvoir trancher ce différend. La description (fig.1) est la suivante : Avers/ Buste du général Boulanger en grand uniforme, coiffé du bicorne réglementaire des officiers généraux. Tout autour la légende : « BOULANGER EX-MINISTRE DE LA FRANCE ». À l’exergue, entre deux étoiles, « 14 juillet 1887 ». Revers/ Hercule entouré de l’Egalité et de la Liberté (figures inversées) accompagnés de la légende : « LIBERTE. EGALITE. FRATERNITE. » Eléments décoratifs dont un rameau et des étoiles. Christian Schweyer, « au regard de la succession des événements » historiques, pense qu’il ne s’agit pas d’une émission satirique hostile à Boulanger mais bien d’une fabrication de propagande en faveur de ce dernier. J’ai donc repris en détail l’examen du cours de ces événements1. En janvier 1886, sur la recommandation de Clémenceau, le chef du gouvernement2 Freycinet choisit comme ministre de la Guerre le général Georges Boulanger (1837-1891), titulaire d’excellents états de service en Kabylie, en Italie, en Cochinchine ainsi que durant la guerre de 1870. Boulanger se rend très vite populaire grâce à une série de réformes judicieuses de l’armée (condition militaire, amélioration de l’équipement, meilleure organisation, etc.) ainsi qu’à son atti1 MOURRE, Dictionnaire Encyclopédique d’Histoire, 1997, tome I (A à C), pp.739-740. 2 Appelé alors « Président du Conseil », depuis 1959 « Premier Ministre ». tude de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne lors d’un incident frontalier (affaire du commissaire Schnaebelé en avril 1887). De surcroît, Boulanger a donné des gages aux républicains en faisant voter en juillet 1886 la loi d’exil des princes appartenant aux familles ayant régné sur la France (les Orléans et les Bonaparte) ; Boulanger fait ainsi perdre au duc d’Aumale sa qualité de général alors qu’il lui devait l’essentiel de sa carrière. Toutefois, la croissance continue de la popularité de Boulanger auprès du public inquiète les républicains. Le général apparaît de plus en plus comme l’incarnation de l’esprit de revanche vis-à-vis de l’Allemagne. Il devient donc un possible « fauteur de guerre » avec les Allemands, ce dont les républicains ne veulent pas. C’est pourquoi Rouvier, successeur de Freycinet à la tête du Gouvernement, écarte Boulanger du ministère en mai 1887. Boulanger est alors nommé par le Gouvernement, commandant du corps d’armée cantonné à Clermont-Ferrand (13e corps d’armée). Le 8 juillet 1887, Boulanger prend le train pour ClermontFerrand à la gare de Lyon. Une foule énorme essaye alors de l’empêcher de partir. Notre médaille monétiforme évoque le 14 juillet 1887, c’est-à-dire 6 jours après cet événement qui constitue le départ du boulangisme, phénomène politique : l’agitation en faveur de Boulanger ne diminuant pas, le général est mis à la retraite d’office en mars 1888. Il se lance alors dans la politique et se fait élire député dans plusieurs départements jusqu’en janvier 1889. Mais, ayant alors renoncé à marcher sur l’Elysée, à l’instigation de sa maîtresse Madame de Bonnemain, il est alors menacé d’arrestation par le Gouvernement qui s’est ressaisi. Le 1er avril 1889, Boulanger s’enfuit à Bruxelles et le 30 septembre 1891, il se suicide sur la tombe de Madame de Bonnemain. Le boulangisme a vécu. Ma conviction est la même que celle de Christian Schweyer. La date du 14 juillet suit de très peu celle de la manifestation du 8 juillet en faveur de Boulanger. Le terme d’ex-ministre n’est pas péjoratif : c’est un simple constat, Boulanger ayant quitté le Gouvernement quelques semaines plus tôt en mai 1887. La médaille qui nous intéresse n’est donc pas une médaille satirique anti-Boulanger mais une médaille de propagande en faveur du général. La date du 14 juillet n’est pas neutre : il s’agit de profiter du rappel de la prise de la Bastille pour souligner le caractère populaire du boulangisme (le 14 juillet ne deviendra véritablement fête nationale qu’en 1889 à l’occasion du centenaire de la Révolution française). Outre la médaille monétiforme de propagande ci-dessus étudiée, on connaît de nombreuses monnaies de Napoléon III regravées à l’effigie du général Boulanger. Elles sont toutes étudiées par Christian Schweyer (pp. 495-518) et on lira également avec profit l’article de Thibault Cardon dans le BSFN de novembre 2006 (p.248 et suiv.) Christian CHARLET N.B. Deux coquilles à signaler dans mon article, ArchesCharleville en 1612, du BN n°237 (janvier 2024) : -page 28, 2e paragraphe, 1re ligne, lire « l’échéance 2025 est dictée » au lieu de « citée » - page 30, 4e paragraphe, dernière ligne, lire « à proximité de la forêt des Ardennes » au lieu de « à propos ». UNE MÉDAILLE MONÉTIFORME AU NOM DU GÉNÉRAL BOULANGER ÉDITÉE EN 1887
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