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Bulletin Numismatique n°233 36 Dans la prochaine Live Auction du 5 septembre 2023, vous pourrez découvrir deux tétradrachmes de Syracuse dont nous vous rappelons au passage que le droit est bien le quadrige conduit par un aurige et souvent couronné par Niké (la Victoire) et que le revers représente une nymphe à la beauté diaphane entourée de dauphins et pas le contraire comme souvent décrit dans de nombreux catalogues ! C’est là que débute notre histoire. Dans la mythologie, la nymphe Aréthuse résidait dans l’île d’Ortygie, en face de la future ville de Syracuse, sous la forme d’une fontaine d’eau douce, (Virgile, Eclog. IV.1, X.1). Alphée, un satyre, représentant un dieu-rivière dans le Péloponnèse, près de Phylace en Arcadie, avait poursuivi Aréthuse. À sa prière, Artémis la transforma en rivière et seule la mer permit à la nymphe d’échapper au satyre. Cette légende permit d’expliquer un phénomène hydro-géographique : une rivière souterraine passe sous la mer pour déboucher dans l’île d’Ortygie. C’est là que des colons corinthiens (venus de Corinthe) fondèrent en 733 avant J.-C. la cité de Syracuse appelée à un grand destin jusqu’à ce que le général romain Marcellus ne s’en empare en 212 avant J.-C., pendant la deuxième guerre Punique (218-202 a. C.) causant au passage la mort du grand savant Archimède, tué par la méconnaissance d’un soldat romain. Pendant ces cinq siècles, la cité connut un rayonnement qui déborda des limites de la ville pour rayonner sur l’ensemble de la Sicile et parfois même au-delà en en faisant la rivale de Carthage, de Marseille, des Étrusques et de Rome. L’un de ses tyrans, Agathoclès (317-289 a. C.), à l’image et à l’instar des Diadoques, prit le nom de roi (basileos) en 305 a. C. après sa victoire sur les Carthaginois, ayant comme modèle Alexandre le Grand, allié des grandes puissances de l’époque, comme les Lagides de Ptolémée Ier Soter ! Mais pour le moment nous voudrions plutôt évoquer l’image d’un tyran d’une autre époque, celle de Gélon, tyran de Géla (Sicile) depuis 491 a. C. et qui devint celui de Syracuse de 485 à 478 a. C. Il avait remporté une course de char aux Olympiades de 488 a. C. (Jeux Olympiques dont le début est fixé à 776 a. C. et avait lieu tous les quatre ans à Olympie). Il incorpora le type du quadrige (attelage de quatre chevaux), en fait plutôt un bige (deux chevaux sur les premières monnaies) au droit de ses tétradrachmes d’étalon euboïco-attique (masse théorique c. 17,28 g). Ce type connut une destinée exceptionnelle et fut largement copié dans l’ensemble de la Sicile par les rivales de Syracuse. Il fut frappé avec diverses destinées pendant plus de deux siècles, parfois éternisé par les plus grands graveurs que le monde grec a pu nous livrer comme Kimon ou Évainète à l’image d’un Praxitèle ou d’un Phidias pour la statuaire et la sculpture. À la mort de Gélon, c’est Hiéron qui lui succéda (478-467 a. C.) suivi de Trasybule (467-465 a. C.) dont la chute amena le rétablissement de la Démocratie à Syracuse (465-405 a. C.). Si Gélon triompha des Carthaginois à Himère en 480 a. C., Hiéron remporta une brillante victoire sur les Étrusques à Kymé (475 a. C.) qui permirent d’asseoir l’hégémonie syracusaine. C’est le visage de la nymphe de la légende qui vint se placer au centre du revers, entourée de dauphins afin de rappeler l’origine du mythe. Ces monnaies à l’esthétique archaïsante, puis classique, sont parmi les plus belles et les plus prisées des monnaies siciliennes et aujourd’hui les plus recherchées, atteignant des prix stratosphériques pour les exemplaires les mieux conservés et du meilleur style. Un chercheur allemand, Erich Boehringer (1897-1971), le père de Christof qui vient de se voir remettre le jeton de vermeil de la Société Française de Numismatique (SFN) en mai 2023 pour l’ensemble de son œuvre, a publié en 1929 ce qui reste encore aujourd’hui comme l’ouvrage de référence pour ce monnayage, Die Münzen von Syrakus, et qui comprend plus de 700 entrées pour le monnayage entre 510 et 420-415 avant J.-C. Cet ouvrage est de plus un modèle tant pour le catalogue que l’étude de coins à laquelle s’est livré son auteur. Il a bien sûr été complété par de nombreuses nouvelles études depuis comme le trésor de Randazzo publié par l’American Numismatic Society sous la plume de Carmen Arnold-Biucchi, ANS NS 18, The Randazzo Hoard 1980 and Sicilian Chronology in the early fifth Century B. C., New York, 1980. Ce trésor sicilien, composé de 539 pièces dont 308 de Syracuse, a permis d’affiner légèrement la chronologie et l’ordre des émissions sans modifier fondamentalement le travail de Boehringer. Le TPQ (terminus post quem = date d’enfouissement probable) de ce trésor serait à placer c. 450 a. C. Nos deux tétradrachmes ont été frappés entre 480/478-475 avant J.-C. sous Gélon Ier et entre 470-466 pour le second (Boehringer 409 = Randazzo 526) correspondant aux tyrannies de Hiéron et de Trasybule. Ces deux pièces nous emmènent au moment des vacances, vers des rivages connus, sur le fond musical d’une ballade des années 50, encore d’actualité, qui nous ramène aux abords de l’île d’Ortygie et de sa fontaine, en pensant à la nymphe, poursuivie par son satyre, sauvée par sa protectrice, Artémis avec les dauphins qui tournoient autour de son profil figé dans le métal pour l’éternité, dans une élégante composition qui nous émeut encore aujourd’hui et explique, peut-être en partie, le succès des ces tétradrachmes à l’image des « chouettes » d’Athènes. En un quart de siècle, nous vous avons proposé près de 200 tétradrachmes de Syracuse qui figurent au classement de Boehringer et font rêver tous les esthètes qui collectionnent ces monnaies et que l’on nomme numismates ! Marie BRILLANT et Laurent SCHMITT J’IRAI REVOIR SYRACUSE !

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