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Bulletin Numismatique n°231 51 L’ARGENT DANS L’ART : UNE PRÉCIEUSE AMBIVALENCE « La relation entre l’art et l’argent ne saurait se réduire à des considérations économiques (…) », explique JeanMichel Bouhours, commissaire de l’exposition L’Argent dans l’Art qui se tient actuellement à l’Hôtel de la Monnaie de Paris et ce jusqu’au 24 septembre prochain. Cette relation est explorée à travers près de 150 œuvres (tableaux, sculptures et installations, photographies, pièces de monnaies et vidéos), issues des collections publiques des musées nationaux et régionaux mais également de prêts par des galeries et collectionneurs privés. Elles mettent en avant les liens étroits et complexes qu’entretient le monde de l’Art avec celui du capital, et la part belle que l’un prend sur l’autre selon les paradigmes et revendications de chaque période historique. A travers six parties thématiques, le visiteur chemine de l’Antiquité à nos jours, entre mythe et réalité, à la découverte d’un imaginaire collectif qui se nourrit des nombreuses représentations artistiques autour de la question de l’argent et qui évoluent au fil du temps. De la richesse à la pauvreté, de l’avarice à la charité, d’une économie de marché à un rejet de la valeur pécuniaire de l’art, les artistes se sont employés à dénoncer, transformer et sublimer ce sujet qui ne laisse personne indifférent. On retrouve ainsi, et de manière ostensiblement caricaturée, la figure de l’usurier ou du collecteur d’impôts sous les traits d’un Shylock mercantiliste, celle du banquier cupide, de la femme vénale, comme autant de satyres d’une société sous le joug d’un paradoxe hérité de la morale chrétienne : la cupidité est un vice, une vanité, quand l’enrichissement personnel et l’opulence mis au service de la communauté sont des vertus. Cette opposition entre l’argent source de malédiction mais également de bienfaits, se retrouvait déjà dans les récits antiques tels que celui de Danaé et la pluie d’or ou encore du Roi Midas dont le désir de fortune scella le malheur. L’accumulation de richesses entrait alors en contradiction avec une vision aristotélicienne du bonheur, qui se veut dépouillé de tout bien matériel. La révolution industrielle et les débuts de l’impressionnisme en peinture bouleversent et modernisent la sphère artistique en introduisant au XIXe l’idée d’un marché de l’art émancipé des commandes d’État et de l’approbation de l’Académie. Le marchand d’art devient une figure incontournable, comme on le voit dans le portrait de Paul Durand Ruel réalisé par Renoir en 1910, le statut des artistes change, et avec lui, la manière de définir l’essence de l’art. Cette révolution dans le processus de création et de diffusion de l’art va introduire au XXe siècle, siècle des intellectuels selon le livre éponyme de Michel Winock, une vraie interrogation sur ce que vend réellement l’artiste. À l’heure du ready-made de Duchamps, ce n’est plus la valeur esthétique de l’œuvre qui prime, mais bien l’idée qu’elle véhicule, la signature de son auteur et par conséquent sa valeur économique. La relation entre art et argent s’en trouve alors profondément métamorphosée et nombreux sont les artistes qui en jouent, travestissant le célèbre concept de « l’Art pour l’art » en « L’Art pur l’or » ou, dans le cas de Dali, en remplaçant sa moustache iconique par le signe du dollar américain, la tête auréolée de pièces de monnaies, dans une œuvre ironiquement intitulée : Dali, Why do you paint ?- Because I love art. S’emparer du thème de l’argent dans leurs œuvres est, pour les artistes, le meilleur moyen de dépeindre une société aux nombreuses inégalités sociales et de mettre en avant les relations ambivalentes mais également interdépendantes qu’entretiennent ces deux univers que tout oppose. D’une vision romantique de l’artiste au-dessus de toute préoccupation financière, à un marché financier où l’art devient un produit de consommation, il n’y a qu’un pas, et la frontière entre les deux est aujourd’hui, avec l’entrée du numérique dans l’équation, de plus en plus floue. Cette exposition, organisée par la Monnaie de Paris avec le concours de France Muséums, est audacieuse tant par son sujet que par la qualité des œuvres réunies pour le traiter, agréablement construite et très documentée. Je ne saurais que conseiller aux amateurs de la petite et grande Histoire de venir y découvrir des œuvres inédites et redécouvrir les grands chefs-d’oeuvre qui la composent. Une petite pépite qui ravira petits et grands et qui peut se faire seul ou en visite guidée. Dollar Sign par Andy Warhol Maureen CHLOUS

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