Bulletin Numismatique n°230 42 UN PROGRAMME GRAPHIQUE HABILE, ENTRE PONT JETÉ VERS LA RÉVOLUTION ET AFFIRMATION DE LA MONARCHIE DE JUILLET Après l’analyse sémantique, il convient de proposer quelques éléments sur les choix graphiques relatifs à la légende de la médaille. La composition végétale qui s’y trouve est très aisément identifiable. Elle s’inscrit dans la tradition qui commence alors à bien s’établir depuis la Révolution, avec une conjugaison d’essences : il s’agit d’une branche de chêne, avec fruit, à gauche, et d’une branche de lauriers, là aussi avec fruit, à droite, les deux étant noués par un ruban, exactement comme sur les monnaies. La différence notoire réside dans l’espace occupé – seulement la moitié du module alors qu’elles encerclent entièrement le flan dans le domaine monétaire. Nous pouvons noter tout d’abord que le chêne et le laurier sont également présents sur les monnaies union et force de la Révolution, ce qui constitue un élément commun supplémentaire. Néanmoins, dans le contexte précis de la commémoration des événements nantais, il s’agit sans doute moins d’une référence que d’un hommage direct aux victimes : en effet, la couronne de chêne à Rome est la couronne civique, qui revient à celui qui a sauvé un citoyen en tuant son agresseur. En l’espèce, elle vient clairement reconnaître le rôle des insurgés tués dans la chute de Charles X, et qui se sont sacrifiés pour cette juste cause. La couronne de lauriers est la couronne triomphale, qui accompagne la « victoire » obtenue à l’issue de ces glorieuses journées. Au centre de la médaille, l’ensemble est dominé par la poignée de main1, rehaussée d’une légende « Union et force » qui rappelle de manière toujours aussi évidente les monnaies révolutionnaires de 5 francs frappées de 1795 à 1802, arrimant toujours plus 1830 à la Révolution. L’autre sens que l’on peut affecter à la poignée de main consiste dans le rétablissement d’une certaine unité nationale, autour du désormais Roi des Français2, dont la tâche est immense, puisqu’il s’agit de rassembler les libéraux, qui dominent la Chambre des députés et les légitimistes qui soutiendraient volontiers l’avènement du jeune Henri V, roi de France désigné par Charles X au moment de son abdication. De manière peut-être encore plus littérale, Louis-Philippe essaie de donner une image de plus grande proximité avec les « concitoyens français », dont il est une émanation, puisque pour la première fois, le roi a été intronisé lors d’une séance à l’Assemblée nationale, en présence de la représentation élue. À cet égard, il se rend régulièrement devant le Palais-Royal, et distribue généreusement des poignées de main3, ce qui déclenche les sarcasmes et quolibets des légitimistes qui y voient une atteinte au principe monarchique et à la nécessaire distance du souverain. 1 En héraldique, cette figure est nommée « la foi » 2 Louis XVI était porteur de ce titre aussi, en vertu de la loi / décret du 9 novembre 1789 pris par l’Assemblée nationale, et qui dispose « (…) L’expression du Roi de France sera changée en celle de roi des Français, et il ne sera rien ajouté à ce titre ». 3 Alfred de Vigny, notamment en témoigne, dans la publication Mémoires inédits, édités par Jean Sangnier, 1er janvier 1958 La couronne royale est le dernier élément iconographique de cette riche composition, surplombant les 2 éléments du centre de la médaille. C’est l’élément qui fait pivot, cerné par Liberté, Patrie et la poignée de main. Elle est véritablement centrale, et incarne la monarchie constitutionnelle. Or, force est de constater que cet attribut est rarement représenté sous le règne de Louis-Philippe4. On en trouve bien la trace dans un tableau de 1839, mais la couronne y est un attribut franchement périphérique du portrait du roi. C’est un symbole pourtant déterminant de la monarchie, mais il est marginalisé. De fait, le coq, mais aussi la Charte de 1830, dominent sans aucune contestation l’iconographie officielle du règne de Louis-Philippe. Le changement radical dans la symbolique est frappant quand on compare les tableaux en « costume de sacre » de Louis-Philippe et de ses prédécesseurs. Sans remonter à l’Ancien Régime, il suffit de juxtaposer les portraits des deux derniers « rois de France », Louis XVIII et Charles X, et le « roi des Français ». Louis XVIII © Photo RMN - Grand Palais - G. Blot Charles X © Photo RMN - Grand Palais - G. Blot Louis-Philippe Ier © Photo RMN - Grand Palais - G. Blot Ce choix peut donc paraître étonnant. Deux alternatives paraissaient possibles, avec la Charte d’une part, et le coq de l’autre. C’est sans doute pour ce dernier qu’il y a matière à s’interroger, dans la mesure où il figure sur les décorations nationales décidées à la fin de 1830. Il était vraiment envisageable que cet élément pictural puisse être choisi, renforçant la ressemblance entre la médaille locale et les récompenses officielles. Il en est de même pour la Charte, volontiers figurée sur de nombreuses médailles, dès 1830 ou même des essais de monnaie, comme on peut le voir ci-dessous. Médaille d’époque, sans poinçon, signée MICHAUT et PRADIER en référence au buste de Louis-Philippe du sculpteur James Pradier, conservé au Louvre, reproduit au centre de la médaille. Elle figurait, avec d’autres œuvres de Michaut, au Salon de 1831. Pour aller plus loin sur cette œuvre : https://www.jamespradier.com/Texts/LP1830.php 4 C’est le cas aussi des autres éléments : sceptre, main de justice et manteau de sacre, qui seront symboliquement présents le jour de l’intronisation de Louis-Philippe à l’Assemblée nationale. LES 3 GLORIEUSES À NANTES, LES MÉDAILLES ANNIVERSAIRES DE 1831 ET 1832 ENTRE COMMÉMORATION ET PROPAGANDE POLITIQUE- PARTIE 2
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