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Bulletin Numismatique n°228 44 À PROPOS DU GRAND SAVANT POLONAIS JOACHIM LELEWEL Mes obligations à Monaco en septembre dernier ne m’ayant pas permis de retourner en Pologne comme j’y étais invité, j’ai pu néanmoins obtenir des informations du côté des organisateurs polonais du Colloque organisé à Cracovie le 10 septembre 2022 en hommage au grand savant polonais Joachim Lelewel1. Ce colloque de Cracovie avait été précédé, il y a deux ans, d’un premier colloque d’hommage à Lelewel organisé à Poznan en Silésie, certains des organisateurs et participants de ce Colloque étant à l’origine de celui de Cracovie cette année. Bien que Lelewel ne soit pas mis par les Polonais sur le même plan que Chopin, ce musicien étant leur figure emblématique, il est néanmoins très vénéré de l’ensemble des Polonais, non seulement en raison de sa remarquable œuvre scientifique mais aussi et surtout parce qu’il a incarné à la fois la résistance polonaise à la répression et à l’occupation russe et l’idéal de démocratie. Lelewel est en effet considéré comme le père de la démocratie polonaise. Son parcours fut, en résumé, le suivant. Professeur d’histoire à l’Université de Wilna (aujourd’hui Vilnius, capitale de la Lituanie), Joachim Lelewel était né à Varsovie le 21 mars 1876. Après avoir été obligé de suivre la voie de l’émigration suite à l’échec de l’insurrection polonaise contre l’occupation russe en 1830-1831, insurrection dont il avait été un des chefs, Lelewel se réfugia d’abord à Paris en 1831, comme beaucoup d’émigrants polonais. Toutefois, alors que la plupart de ceux-ci avaient accepté de rester neutres et de renoncer à l’action politique, Lelewel avait refusé et il continuait, depuis Paris, à organiser la résistance polonaise, à l’encontre de la Russie. Le gouvernement de LouisPhilippe, ayant accepté les exilés polonais tout en refusant de 1 Complément au BN n°224, novembre 2022, pp. 48-49. condamner l’intervention et la répression du tsar de Russie Nicolas Ier2, autocrate notoire, vit d’un œil défavorable l’agitation politique anti-russe fomentée par Lelewel. D’où l’expulsion de ce dernier en Belgique, pays voisin alors francophone et dont la reine, épouse du roi Léopold Ier, était la fille de Louis-Philippe. Lelewel vécut alors plus de 25 ans en Belgique. Toutefois, il tomba gravement malade à l’âge de 85 ans et, sans illusions sur l’issue fatale, demanda à des amis de le ramener à Paris où il voulait mourir3. Il y décéda le 29 mai 1861. A cette date Nicolas Ier, tsar de Russie, était mort et la France avait mené contre lui la guerre de Crimée. L’enterrement de Lelewel au cimetière Montmartre, où reposaient déjà de nombreux exilés polonais, eut donc lieu sans aucune difficulté. Son monument funéraire, devenu un cénotaphe, a été entièrement restauré en 2007 par le gouvernement polonais4. Dans l’entre-deux guerres, le gouvernement français avait accepté le transfert en Pologne des restes de deux héros polonais ainsi que le transfert à Vilnius (anciennement Wilna et Vilno) en Lituanie des restes de Lelewel, à la demande du gouvernement lituanien. Ce transfert donna lieu alors à Paris à une grande cérémonie franco-polonaise organisée en hommage à ce grand savant5. Durant sa présence en Belgique, Lelewel publia plusieurs études et articles, notamment dans la Revue belge de numismatique (RBN) de 1845 à 1859. Toutefois, cette œuvre numismatique «belge» ne doit pas faire oublier que deux des trois études principales de Lelewel furent publiées à Paris, en 1835 et en 1836 : d’abord son monumental ouvrage en 3 volumes et un atlas consacré à la monnaie du Moyen Âge, ensuite son étude sur les monnayages mérovingiens. Dans les deux cas, Lelewel fut un remarquable précurseur, ouvrant la voie aux grands spécialistes que furent ensuite de Belfort, Prou (mérovingiennes) ou encore Longpérier (médievales). C’est pourquoi, s’il est logique que des numismates belges aient participé au Colloque de Cracovie en septembre, on peut être surpris de l’absence de communications françaises concernant ce grand savant. N’aurions-nous plus aucun spécialiste des monnaies du Moyen Âge ni des monnaies mérovingiennes s’intéressant à Lelewel ? Ce dernier aurait pourtant bien mérité un hommage de la part des Français, tout autant que de la part des Belges6. 2 Cette attitude française est résumée par la célèbre phrase du maréchal Sébastiani, ministre de Louis-Philippe : « L’ordre règne à Varsovie. » 3 Ses amis voulaient d’abord le soigner à Paris car il souffrait de solitude à Bruxelles. 4 Dans le cadre de la restauration de plus d’une centaine de monuments funéraires polonais érigés dans les cimetières du Père Lachaise et de Montmartre. Cette opération fut réalisée à l’époque avec mon concours professionnel actif, grâce à une autorisation exceptionnelle accordée par le maire de Paris, Bertrand Delanoë. 5 La Pologne vivait alors sous le régime du maréchal Pilsudzki qui n’était pas un modèle de démocratie. Or Lelewel fut, à travers toute sa vie, un modèle de comportement démocratique. Cela peut expliquer la demande de transfert par la Lituanie plutôt que par la Pologne de l’époque. Aujourd’hui, l’hommage des Polonais à Lelewel est unanime et particulièrement vif chez les démocrates polonais. 6 D’autant que ceux-ci ne s’expriment plus en français, comme au temps de Lelewel, mais désormais en anglais, ce qui se comprend mieux de la part des Polonais dont la langue n’est pas une langue internationale et dont les orientations gouvernementales sont fortement alignées sur la politique des Etats-Unis d’Amérique, aujourd’hui «grand-frère» de la Pologne actuelle.

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