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Bulletin Numismatique n°211 32 V ous avez sous les yeux, que ce soit entre vos mains ou sur un écran d’ordinateur, une 5 Francs Union et Force : une An 5 Q par exemple. Certes vous pouvez vous contenter de l’esthétisme dégagé par cette gravure et consulter un argus des monnaies pour en connaître sa cote et sa rareté. Mais une monnaie est aussi une énigme. C’est un morceau d’histoire, la petite dans la grande, qui est arrivé jusqu’à nous après un parcours parfois chaotique. En effet, pour que cette 5 Francs Union et Force se retrouve sous vos yeux, il a fallu un ensemble de décisions et d’acteurs qu’il est passionnant de dé- couvrir. Il a d’abord fallu que se décide le système décimal sous la Révolution et qu’il se mette progressivement en place, tout d’abord en tant que division de la livre puis du franc. Il a été nécessaire que les assignats, monnaie papier fiduciaire, soient un fiasco rendant nécessaire et incontournable le re- tour à la monnaie métallique. Il a été indispensable de définir la valeur faciale, le poids, le diamètre, la composition métal- lique de cette nouvelle monnaie, tout en essayant de ne pas trop s’éloigner de ce qui était en usage depuis des siècles. Il a été judicieux de choisir le motif, en reprenant une gravure faite pour le timbre sec (sorte de filigrane) d’un assignat, mais en rendant l’expression moins violente avec la suppression de son symbole révolutionnaire : Hercule ne piétine plus les at- tributs royaux que sont le sceptre et la couronne. Il a fallu que le graveur général et près de 60 employés sous ses ordres fournissent la paire de coins qui a permis de la frapper. Pour cela, il a été primordial que cet atelier ait été approvi- sionné en acier d’Allemagne, acier de qualité supérieure à ce que l’on trouve en France à l’époque, alors même que la guerre en cours en consomme la plupart ou en interdit l’im- portation d’Angleterre. Il a été essentiel que le graveur général produise des poinçons et matrices de première création avant que son équipe de gra- veurs, forgerons, limeurs prenne le relais pour produire no- tamment les poinçons de reproduction et pour finir les coins. Il a été ensuite nécessaire que cette paire de coins, d’abord testée par l’Administration, voyage jusqu’à Perpignan, soit réceptionnée par les fonctionnaires de cet atelier monétaire avant d’être confiée aux monnayeurs. Cette livraison en dili- gence ou fourgon prendra entre 8 et 11 jours. Sur place, le directeur d’atelier, le commissaire national, le contrôleur du Monnayage et le caissier organisent et sur- veillent l’activité monétaire. En amont, un particulier a dû apporter à l’hôtel des monnaies de Perpignan l’argent (métal) nécessaire, possiblement sous la forme de couverts ou de bi- joux, avant qu’il lui soit rendu en contrepartie son équivalent minoré des frais associés à la fonte et la production, avec cette monnaie frappée en 1797. Entre temps, il a fallu fondre le métal, le mettre au bon titre (900 ‰ d’argent), constituer des lames qui seront découpées en flans à la masse réglementaire. Il a été alors procédé au marquage de la tranche faisant apparaître la légende « Garan- tie Nationale » avant que ce flan se retrouve dans les mains d’un monnayeur. Ce dernier, au risque de perdre ses doigts, devra le placer précautionneusement sous les coins précédem- ment livrés et montés dans les boîtes du balancier. La frappe est alors activée, travail très répétitif et rythmé, réa- lisé par une équipe de huit hommes relayés tous les quarts d’heure pour des journées de 12 à 15 heures de travail. Cette opération, effectuée sous les yeux du contrôleur du Mon- nayage, est suivie de la prise au hasard d’un échantillon de 6 pièces qui sont expédiées à Paris. Là, ces exemplaires prélevés dans la production ont dû subir les analyses sur la qualité de leurs empreintes, sur le respect du poids et de la composition métallique. Seulement grâce à ces vérifications, il a pu être décidé que la fabrication était de bon aloi et donc possible à mettre en circulation. Cette information a fait le trajet retour Paris/Perpignan par diligence et a permis au caissier de procéder à la délivrance. Pour finir, à la toute fin du processus, cela a permis de re- mettre les pièces au particulier qui avait apporté la matière première. Si le jugement avait été négatif, le directeur aurait eu à procéder à la refonte des monnaies frappées et à recom- mencer le processus … Le livre Le Franc d’Augustin Dupré vous propose de vivre l’ensemble de ce processus, de suivre les évènements qui ont donné vie à la monnaie que vous avez sous les yeux. Nous vous proposons d’entrer dans le détail de cette organisation et de toutes les opérations qui ont abouti à la mise en cir- culation de cette pièce. Pour cela, et pour donner vie à tout ce processus, nous sommes remontés aux sources, principa- lement aux archives de la Monnaie de Paris, de la BnF et des Archives Nationales. Mais en premier lieu et avant toute chose, ce livre est un hom- mage à un artiste majeur injustement méconnu du grand public : Augustin Dupré. Ses œuvres monétaires se sont re- trouvées dans les mains de millions et de millions de Français et ce sur plusieurs générations, pendant près de deux siècles grâce à ces types républicains intemporels qu’il a créés et qui ont été repris lors des II e , III e et V e Républiques. Et pourtant qui connaît son nom ? Dans la France entière il n’a eu droit qu’à un nom de rue quand bien même ce fut une avenue (à Saint-Étienne, ville où il est né) et à un nom d’école (à Ar- mentières-en-Brie, ville où il est mort). C’est peu, c’est très peu pour quelqu’un dont tout un chacun a pu, sans se poser la question, contempler certaines de ses œuvres. Augustin Dupré par Augustin Dumont (son filleul) © Carnavalet-Histoire de Paris / photos ADF LE LIVRE : « LE FRANC D’AUGUSTIN DUPRÉ »

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