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Bulletin Numismatique n°205 18 LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO ET LE COMMERCE EN MÉDITERRANÉE AVEC LE LEVANT AU TEMPS DES LUIGINI (XVII E SIÈCLE) C e catalogue de la superbe exposi- tion organisée à Monaco du 22 au 25 octobre 2020 avec inaugura- tion par S.A.S. le prince Albert II n’est pas un simple catalogue d’exposition. Celle-ci a été conçue à l’occasion et en fonction de la tenue à Monaco les 23, 24 et 25 oc- tobre des Journées Numismatiques an- nuelles de la Société Française de Numis- matique (SFN), la doyenne et la plus prestigieuse des sociétés de numismatique que compte la France. Ces Journées ayant un caractère scientifique affirmé, il était nécessaire que l’exposition concomitante du musée des Timbres et des Monnaies de Monaco (MTM) soit en osmose avec la conception et le contenu donnés à ces Journées par la SFN. D’où le thème de cette exposition centrée autour du com- merce en Méditerranée avec le Levant et du phénomène des luigini . Ce thème est commun aux Français et aux Italiens voisins de Monaco. La SFN souhaitait vivement la participa- tion active des numismates italiens à ses Journées : un tel thème pour l’exposition du MTM ne pouvait qu’y inciter, l’ouvrage aujourd’hui de référence pour les luigini étant celui du commandant Maurice Cammarano, génois, édité en 1998 par un autre numismate italien, Romolo Vescovi, conjointe- ment avec la Bibliothèque nationale de France (BnF). C’est le Corpus Luiginorum qui vient d’être réédité en italien par les Éditions Gadoury. Fin 2013, R. Vescovi est mort, à l’âge de 81 ans, après avoir légué au prince Albert II sa magnifique collection de luigini (environ 1 400 exemplaires) qui avait servi de référence à l’ouvrage de M. Cammarano. Une vitrine spéciale a alors été créée au MTM pour accueillir en perma- nence un échantillon significatif de cette collection disposé sur une carte désignant les lieux de fabrication des luigini . Ce choix pédagogique semble unique. L’exposition rend hommage à R. Vescovi dont un autre échantillon significatif de sa collection y figure en bonne place. Les autres monnaies exposées proviennent de collec- tions privées dont les propriétaires ont des liens étroits avec Monaco (F. Pastrone, la famille Charlet notamment). L’en- semble monétaire est valorisé par la présence d’ouvrages an- ciens des XVII e et XVIII e siècles et surtout de documents d’archives inédits et uniques prêtés par la Bibliothèque et les Archives du Palais princier de Monaco, institution partie pre- nante à l’exposition, de même que le musée Océanographique et le musée naval de Monaco qui avait prêté deux magnifiques maquettes de navires de l’époque. C’est ainsi qu’à la diffé- rence des expositions précédentes de 2008, 2012 et 2015, la présente exposition ne réunissait que des objets de source monégasque ou proche de Monaco. A une exception près toutefois : deux rarissimes luigini des abbés de St Honorat de Lérins frappés à Seborga près de Vintimille en Ligurie, joyaux monétaires prêtés par la Bibliothèque-musée de Carpentras. Préfacé par S.A.S. le prince Albert II, le catalogue est conçu comme une véritable étude scientifique richement illustrée LE COIN DU LIBRAIRE, LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO ET LE COMMERCE EN MÉDITERRANÉE permettant de comprendre l’origine du phénomène des lui- gini et de suivre leur évolution jusqu’à leur disparition en 1670-1671. Cette étude est précédée d’un prologue qui est un hommage à la Méditerranée antique : l’exposition, pour la première fois, de la collection inédite de monnaies grecques antiques constituée par le prince Albert I er entre 1900 et 1920, conservée au musée Océanographique. Ensuite, on prend connaissance, grâce à leurs monnaies, des précurseurs du commerce avec le Levant : les Hollandais et la famille d’Orange-Nassau qui les gouverne tout en possédant, enclavée dans la France, la principauté d’Orange. Ils pré- cèdent les Français qui profitent de la fin de la guerre avec l’Espagne (1659) pour se lancer avidement dans le commerce avec le Levant avec leurs petits louis d’argent de 5 sols que les Italiens appellent luigini . C’est l’âge d’or pour les ateliers mo- nétaires français qui frappent alors massivement ces louis de 5 sols dits luigini . Mais Colbert, qui a succédé à Fouquet, veille. Après avoir réorganisé les ateliers monétaires français en 1662, il y stoppe la frappe des pièces de 5 sols et s’entend avec la princesse de Dombes, la Grande Mademoiselle, ainsi qu’avec le prince de Monaco, Louis I er , tous deux alliés privilégiés de la France, pour qu’ils fabriquent, à leurs noms et armes, des luigini des- tinés au commerce avec le Levant que les ateliers français ne frappent plus. Les deux souverains acceptent et diffusent des espèces spéciales pour le Levant, différentes de celles autori- sées à circuler en France. Louis I er de Monaco se montre alors gourmand. S’étant aper- çu que les Ottomans payent plus cher que 5 sols les pièces de la Grande Mademoiselle, il décide de fabriquer confidentiel- lement des pièces anonymes identiques au portrait imité de celui de la princesse de Dombes. Le succès est foudroyant et ces « mademoyselles » (appellation de l’époque) monégasques sont alors appréciées au prix majoré de celles des Dombes. De 5 sols, la valeur de ces luigini « mademoyselles » de Dombes et de Monaco monte jusqu’à 10 sols. Alléchés par les perspectives d’un tel profit, des aristocrates génois liés à Louis I er et employant dans les ateliers monétaires de leurs fiefs d’anciens maîtres de la Monnaie de Monaco se mettent à leur tour à frapper des luigini « mademoyselles » au portrait imité de celui de la Grande Mademoiselle. Comme le doublement de la valeur de ces pièces ne leur suffit pas, ils y ajoutent la tricherie sur le poids et sur le titre, provoquant ainsi une vive réaction des Ottomans qui décrient tous les luigini en 1670. C’est alors la fin de ceux-ci. Toute cette histoire est reconstituée dans une série de vitrines où les monnaies sont exposées en association à des documents d’archives de l’époque les concernant : décris, correspon- dances, autres textes. Plusieurs documents inédits des Ar- chives nationales françaises montrent l’amertume de la prin- cesse de Dombes envers le prince de Monaco qui imite ses monnaies. Beaucoup de monnaies rares, certaines uniques, sont expo- sées. Pour les documents d’archives, le plus spectaculaire est le parchemin des Lettres patentes de Louis XIV autorisant en septembre 1644 la libre circulation des monnaies moné- gasques en France. L’ensemble du catalogue est illustré par les photos des magnifiques tableaux du Palais princier de Mona- co : Honoré II par Philippe de Champaigne, Louis I er par l’école de Mignard, Charlotte de Monaco née Gramont par Mignard… La principauté de Monaco et le commerce en Méditerranée avec le Levant au temps des luigini (XVII e siècle), édition du musée des Timbres et des Monnaies de Monaco, Monaco 2020, bro- ché (format A4, 21x29,7 cm), 99 pages, nombreuses illustra- tions en couleurs, 20€. Christian CHARLET

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