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Bulletin Numismatique n°203 32 Il arrive que des faits marquants, qui ont été au centre des préoccupations médiatiques et politiques de l’époque, tombent néanmoins rapidement dans l’oubli, tant ils sont éclipsés par l’intense éclat d’un événement exceptionnel qui, presque seul, s’est installé dans la mémoire collective. Il arrive aussi qu’un collectionneur fasse acquisition d’une médaille qui l’intrigue suffisamment pour le conduire à es- sayer de reconstituer son contexte historique, et tenter de comprendre la singularité de l’objet qu’il tient en main. C’est le cas ici, avec un module clairement lié à l’Exposition universelle de 1889. Cette dernière est sans conteste associée de manière indéfectible et presque exclusive à la construction de la Tour Eiffel. Plus d’un siècle après, le monument de- meure l’un des plus visités au monde. Elle est un témoignage historique éclatant de la place éminente de la France en ma- tière d’innovation technique, de génie industriel à la fin du 19 e siècle. Elle est le signe d’une audace architecturale et tech- nologique extraordinaire. Au-delà du géant de métal, le déploiement de nouvelles tech- nologies et d’innovations industrielles est, de fait, l’un des éléments particulièrement saillants de la manifestation : le Palais de l’Industrie, construit à l’occasion de l’Exposition de 1855, est le premier bâtiment d’une telle taille à être électri- fié ; les fontaines lumineuses de Coutan enchantent le pu- blic 1 . La Galerie des Machines est à l’époque la plus vaste structure métallique jamais construite (plus de 48 000 m², soit presque 5 hectares) 2 ; de nombreux modèles de machines à vapeur sont présentés, l’industrie textile montre toutes les nouveautés dans ses processus de fabrication. Ces dimensions technologique, technique et scientifique do- minent. L’Exposition universelle est résolument tournée vers l’avenir, vers le progrès : nous tenons probablement l’idée générale qui reflète le mieux cet événement dans l’imaginaire collectif. Or, le projet initial est quelque peu différent puisqu’il est d’abord et avant tout placé sous le signe de la commémo- 1 Voir par exemple le Monde Illustré du 12 octobre 1889, p 330 et s. 2  https://www.worldfairs.info/expopavillondetails.php?expo_ id=6&pavillon_id=500 ration du centenaire de la Révolution française. Cette célébra- tion en fait un enjeu diplomatique et géopolitique de premier plan. Les grandes monarchies européennes, influencées par l’Allemagne, boycottent officiellement la manifestation, car la Révolution française est reliée au régicide de Louis XVI, dou- blée d’une quasi-guerre civile. Les diplomates français ont beau indiquer que « 1793 n’est pas 1789 », que la Terreur ne saurait résumer l’ensemble de la période, rien n’y fait. En re- vanche, des régimes républicains comme les USA ou la Suisse répondent favorablement à l’invitation. Le continent améri- cain est du reste particulièrement bien représenté, puisqu’il compte à lui seul la moitié du contingent des pays prenant part à l’Exposition de manière officielle – 17 sur 35 nations. Cette présence significative contribue à mettre en échec la stratégie d’isolement orchestrée par un Otto von Bismarck en conflit avec le kaiser Guillaume II, et bientôt à bout de souffle politiquement, puisqu’il sera contraint à renoncer au poste de chancelier quelques mois plus tard, en mars 1890 3 . En outre, la présence d’exposants à titre privé, originaires des grands pays ayant officiellement renoncé à l’Exposition, achève de donner une réelle dimension internationale à l’évé- nement, considéré comme le point de départ du rapproche- ment franco-russe. Enfin, la qualité d’accueil des visiteurs étrangers, dont le nombre est conséquent 4 (1 million et demi, dont 200 000 belges, 400 000 anglais, 160 000 allemands) invalide frontalement les propos officiels émanant des régimes monarchiques, qui insistaient sur la xénophobie et la violence potentielle du peuple français. D’une manière générale, l’évé- nement est un succès retentissant, puisque plus de 30 mil- lions de visiteurs sont venus au cours des 186 jours d’ouver- ture, du 10 mai au 31 octobre 1889 5 . La commémoration polémique de la Révolution prend une dimension concrète pendant l’Exposition. Elle s’incarne dans un espace dédié : une reconstitution de la Bastille et d’un quartier attenant, la rue saint-Antoine. Réalisée près du Champ de Mars, elle n’est pas située au cœur de l’Exposition, mais elle est néanmoins à proximité immédiate, face à la spec- taculaire galerie des Machines. La « nouvelle Bastille » n’in- tègre pas non plus le programme officiel. Elle est portée par une initiative privée, financée par un industriel ayant fait for- tune dans la céramique, M. Jean-Marie Perrusson. Elle s’anime et prend vie grâce à un architecte dont on sait seule- ment qu’il est élève de Viollet-Leduc, M. Eugène Colibert. Ce statut privé autorise une certaine latitude à ses organisa- teurs. Ainsi, l’animation s’inscrit dans un autre horizon tem- porel. Elle précède l’Exposition universelle et lui survit, puisqu’elle est inaugurée en grande pompe en 1888 et s’achève à la fin de l’année 1891. Évidemment, il n’est pas très difficile d’y lire les efforts et manœuvres des responsables politiques français qui cherchent à maintenir un fragile équilibre. Il s’agit de limiter le courroux des voisins européens et circonscrire la portée de l’incident 3 Brigitte Schroeder-Gudehys, Les grandes puissances devant l’Exposition universelle de 1889, Le mouvement social, n°149, oct-déc 1989, pp 15-24 4 Alfred Neymarck, Ce que la France a gagné à l’exposition de 1889, Journal de la société statistique de Paris, tome 31 (1890), p. 79-96 5 Ibid. L’inauguration officielle se situe au 6 mai 1889, le lendemain du centenaire de l’ouverture des Etats Généraux, le 5 mai 1789 MÉDAILLE COMMÉMORATIVE DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 1889 - CENTENAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET « NOUVELLE BASTILLE »

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