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Bulletin Numismatique n°200 22 LE CAS DES PIÈCES DE BILLON DE XXX DENIERS ET DE XV DENIERS : UNE « PARTIE DE CACHE-CACHE » NUMISMATIQUE ENTRE LE ROI-SOLEIL ET LÉOPOLD I ER DE LORRAINE ? E n restituant à Léopold de Lorraine, petit-neveu de Charles IV, les duchés de Lorraine et de Bar, occupés par la France de 1633 à 1662 puis de 1670 à 1697, le traité de Ryswick (1697) allait être involontairement la source de difficultés monétaires entre la France et la Lorraine ducale, après la réouverture de l’atelier monétaire de Nancy en 1698- 1700. Dans un premier temps, Louis XIV donna libre cours en France aux « léopolds » d’or et aux « léopolds » d’argent du duc de Lorraine, alignés sur ses propres louis d’argent, ces derniers appelés communément écus. Puis il en vint, après 1706, à décrier en France l’ensemble des espèces lorraines car celles-ci étaient massivement introduites dans le royaume, en « aspirant » les espèces royales hors de France pour le plus grand profit des spéculateurs sur les monnaies appelés « bil- lonneurs ». Ceux-ci étaient protégés de fait par Léopold I er , peut-être même de connivence avec son entourage proche. L’exemple de deux espèces modestes de billon, les pièces de XXX deniers et de XV deniers, répertoriées trop rapidement par F. de Saulcy (1841) suivi par D. Flon (2002) malgré la correction apportée en 1933 par le général (alors colonel) Jacques Lhéritier, me paraît à cet égard très significatif. En 1708 Nicolas Desmaretz, neveu de Colbert, sorti de sa disgrâce après le scandale des pièces de 4 sols (voir Le Blanc 1690/1692 et le BSFN de mars 2015, p. 62-67), remplace comme « contrôleur général » des Finances (équivalent de ministre), Michel Chamillart, le partenaire préféré de Louis XIV au billard. Plutôt que de faire ordonner par le Roi-Soleil une cinquième réformation après celles de décembre 1689 (1 re ), septembre 1693 (2), septembre 1701 (3 e ), et mai 1704 (4 e ), il préfère procéder à une refonte totale des espèces. Comme en 1640-1641, précédente refonte, il y aura frappe de nouvelles monnaies, d’un poids plus élevé pour l’or et l’argent avec une valeur fortement augmentée : celle du louis d’or est portée à 20 livres (10 en 1640), celle du louis d’argent ou écu à 5 livres (3 en 1641). Créé en avril et mai 1709 pour l’or et l’argent, ce dispositif est complété par l’émission d’une pièce de billon de XXX deniers en septembre, puis de celle d’une pièce de cuivre de 6 deniers ou double liard en octobre. Frappée exclusivement à Lyon et à Metz par un traitant, cette pièce de XXX deniers remplaçait une pièce de 15 deniers, à peine plus légère, créée en octobre 1692 (fig. 1) Dès la mise en circulation de cette pièce de XXX deniers, dont la frappe débute à Metz le 21 décembre 1709 avec une quantité de 573 010 ex. selon E. Wendling (site internet 2013), Léopold I er réagit car cette fabrication à Metz favorise la diffusion de cette nouvelle espèce dans ses états en raison de l’imbrication géographique et économique existante entre la Lorraine ducale des Trois-Évêchés. Par un édit du 3 janvier 1710 (cf. Flon, t. III, Preuves, n° 1029, p. 708-709), il or- donne la frappe dans sa Monnaie de Nancy de pièces de bil- lon de trente deniers, « pareilles » (mêmes caractéristiques de poids, titre, valeur, etc.) à « celles des pays voisins », c’est-à- dire la France. D’où la pièce lorraine de XXX deniers (fig. 2). Venant concurrencer la pièce française, elle montre deux L cursifs (L pour Léopold), motif déjà utilisé en 1691 pour Louis XIV (L pour Louis) pour ses pièces nouvelles de 4 sols. J’apporte plus loin les preuves de mon affirmation qui contre- dit le classement adopté par F. de Saulcy en 1841 et repris en 2002 par Dominique Flon en dépit de la correction apportée par J. Lhéritier en 1933. Léopold I er ne s’en tint pas à son édit du 3 janvier 1710. Pour amplifier le succès de sa nouvelle monnaie de billon dans les Trois-Évêchés, au détriment de la pièce française de XXX deniers frappée à Metz, il décide sept mois plus tard de créer une pièce divisionnaire de XV deniers. C’est l’objet de son nouvel édit du 9 août 1710 qui ordonne la frappe de pièces (nouvelles) de XV deniers » avec la même empreinte qui a été ci-devant donnée à celles de trente deniers » (Flon, t. III, Preuves, n° 1035, p. 712-173). Ce texte est d’une clarté abso- lue : puisque la pièce de XV deniers doit avoir la même em- preinte que celle de la pièce de XXX deniers ci-dessus (fig. 2) et qu’elle montre les deux L cursifs (fig. 3), il est évident que la pièce de XXX deniers créée par l’édit précité du 3 janvier 1710 est obligatoirement celle aux deux L cursifs et non celle aux deux L droits (fig. 4) qui sera de ce fait frappée ultérieu- rement (en 1711, voir plus loin). En l’occurrence, F. de Saulcy en 1841 puis D. Flon en 2002 se sont ainsi trompés en classant la pièce lorraine aux deux L droits avant celle aux deux L cursifs qui lui est incontestable- ment antérieure : j’en apporte plus loin deux preuves supplé- LES DIFFICILES RELATIONS MONÉTAIRES FRANCO-LORRAINES À LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XIV (ANNÉES 1700-1715) Fig.1 - septembre 1709 Fig.2 - 3 janvier 1710

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