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Bulletin Numismatique n°196 23 pu cohabiter durant les mois d’hiver 1693-1694 ? On a vrai- ment de la peine à imaginer les maçons, charpentiers, ferron- niers et autres couvreurs circuler parmi les monnayeurs, ajus- teurs et tailleuresses affairés à transformer les matières d’or et d’argent en espèces sonnantes et trébuchantes… De ces pièces, qui ont pourtant bien été frappées, on ne connaît aujourd’hui que de très rares spécimens : un exem- plaire du louis, un autre du demi-louis, un écu aurait été vu, ainsi que deux demi-écus. Toutes ces monnaies sont frappées sur des flans réformés, d’anciens louis à l’écu pour l’or et des écus aux huit L pour l’argent. L’examen détaillé de tous ces rares exemplaires fait apparaître l’absence systématique du différent du graveur et surtout de celui du maître d’atelier Bernard Lamolère qui avait pourtant pris son poste dès le 1 er septembre 1693 5 . Celui-ci avait pris pour différent une moucheture d’hermine qui devait être pla- cée au début de la légende de l’avers sur toutes les pièces frap- pées sous son autorité, qu’elles fussent en or ou en argent. Or, cette marque n’apparaît sur les monnaies nantaises qu’à partir de l’année suivante et encore a-t-on rencontré un demi-louis et un demi-écu millésimés 1694 ne figurant toujours pas le différent de Bernard Lamolère. S’agirait-il tout simplement d’hybrides frappés avec un coin d’avers gravé en 1693 ? Pro- bablement. Mais, quoiqu’il en soit, cela induit que le différent du maître n’a été apposé sur les pièces que plusieurs semaines après le début de l’année 1694, soit des mois après la nomina- tion de celui-ci. Demi-louis aux 4 L et demi-écu aux palmes frappés à Nantes début 1694 Ils sont dépourvus des différents du maître et du graveur Force est de constater qu’il y a eu une longue latence entre la nomination de Bernard Lamolère comme maître de la Mon- naie de Nantes et l’apparition de sa marque de contrôle sur les pièces. Cette latence ne peut être due qu’au délai de valida- tion et d’enregistrement de cette marque par la Cour des monnaies. D’évidence, on n’a pas attendu cette validation pour faire graver les premiers coins et s’en servir tout de suite afin de relancer au plus vite la frappe monétaire nantaise, 5 Archives départementales de Loire-Atlantique B 5291. Information communiquée par Arnaud Clairand, que je remercie vivement. même si les pièces ainsi produites se trouvaient dépourvues des marques de contrôle, pourtant obligatoires habituelle- ment. L’ajout du différent de Bernard Lamolère dut donc at- tendre le renouvellement des coins d’avers. Ce détail souligne encore la précipitation avec laquelle on a rouvert la Monnaie de Nantes. Il faut dire que la Couronne était alors aux abois, enlisée dans la « guerre de la Ligue d’Augsbourg », conflit qui l’opposait au reste de l’Europe de- puis 1688. Avec ou sans marque de contrôle du maître d’ate- lier, il fallait à tout prix que de nouvelles pièces d’or et d’argent viennent au plus vite soutenir l’effort de guerre. D’ailleurs, par son édit du 16 janvier 1691, le roi lui-même avait officiel- lement renoncé au contrôle de la qualité des pièces frappées sur des flans réformés en supprimant pour elles la longue pro- cédure de mise en boîte . À compter de cette date, en effet, plus aucun échantillon n’était analysé et vérifié par la Cour des monnaies 6 . Dans un tel contexte, le différent du maître d’ate- lier était tout simplement devenu un menu détail, presque une coquetterie, dont on pouvait sans peine se passer… En matière monétaire, comme ailleurs, nécessité fait loi ! Demi-écu et douzième d’écu aux palmes frappés à Nantes en 1694 Ils portent bien les différents de maître et de graveur Différent de Bernard Lamolère, maître de la Monnaie de Nantes de septembre 1693 à juillet 1697 Gildas SALAÜN 6  Jérôme Jambu, « Inventer une mutation monétaire : la première réformation, 1689-1693 », Revue Numismatique , 2015, p. 39-86 ; détail p. 55. NANTES 1693 : QUAND LA MONNAIE REFRAPPE AU BOUFFAY

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