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Bulletin Numismatique n°196 20 O utre un rapport charnel avec les vieux papiers, qui est une expérience sensible merveilleuse tant sur le plan tactile qu’olfactif, le grand plaisir de la re- cherche en archives est bien sûr de trouver l’information que l’on est venu chercher, surtout lorsque celle-ci s’est fait at- tendre, pour ne pas dire désirer, durant de longues heures, voire d’interminables journées ! Mais il y a assurément un plaisir plus grand encore : la séren- dipité, ou l’art de trouver par hasard une information impor- tante que l’on n’était pas venu chercher… Henri Becquerel ou les sœurs Tatin savent ce dont je parle. C’est ainsi que je lis ces trois lignes écrites en 1578 sur un document pouvant être assimilé à une sorte de bon de com- mande de diverses fournitures adressé à un certain Le Pelle- tier, factotum de la Ville de Nantes auprès des autorités royales : aussy achaptera à Paris douze cents de getons faitz au moullin sur le coyn de ceulx de la Chambre des comptes de Nantes 1 . Commande de jetons par la Ville de Nantes en 1578. Archives municipales de Nantes AA 67-13 (détail). © Gildas Salaün Même brève, cette phrase permet immédiatement d’identifier à coup sûr le type concerné. Il s’agit des jetons de la Chambre des comptes de Bretagne millésimés 1578, ceux-là mêmes qui, parmi les jetons de cette institution souveraine installée à Nantes depuis la fin du XV e siècle, attirent le plus l’attention par une spécificité jusqu’alors restée inexpliquée : le dernier chiffre de la date a été regravé. Jeton d’argent de la Chambre des comptes de Bretagne émis en 1577 et sa réplique en cuivre frappée pour la Ville de Nantes en 1578. Coll. Musée Dobrée - © Jean-Gabriel Aubert - GPLA Parmi tous les jetons de la Chambre des comptes de Bre- tagne 2 , il en existe, datés 1577, qui figurent à l’avers trois cou- ronnes dont l’une dans un ciel étoilé, à l’exergue 1577, entou- 1 Archives Municipales de Nantes AA 67-13. 2 Gildas Salaün, « Les jetons de la Chambre des Comptes de Bretagne », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n° 108-4, 2001, p. 99-108. Consultable sous ce lien : https://journals.openedition.org/abpo/pdf/1678 rées de la légende + HEN. D : G. FRAN. ET. PO. REX. MANET. VLTIMA. COELO (Henri par la grâce de Dieu roi de France et de Pologne - la plus élevée reste au ciel) . Et au revers, l’écu couronné et écartelé de France et de Bretagne entouré du collier de Saint-Michel. La légende est explicite SVBD- VCENDIS. RATIONIBVS - CAM. COMP. REGIORVM. BRI (pour faire les comptes de la Chambre des comptes de Bre- tagne) . Ces jetons existent en cuivre, plus rarement en argent. D’autres jetons présentant exactement les mêmes motifs et légendes ont indiscutablement été frappés avec les mêmes coins que les précédents, mais ils portent le millésime 1578. Le dernier chiffre de la date a été astucieusement regravé par taille directe pour que le 7 devienne un 8. Détail du millésime regravé © Jean-Gabriel Aubert - GPLA Jusqu’à présent on considérait ces jetons de 1578 comme une nouvelle émission réalisée pour compléter celle frappée en 1577 en nombre insuffisant pour répondre aux besoins de la Chambre des comptes de Bretagne. Comme toujours, le ré- emploi des coins n’avait comme simple objectif que de limiter les coûts de fabrication de cette nouvelle série. Or, si la me- sure d’économie n’est pas à remettre en cause, on apprend grâce à la découverte de cette brève mention que les jetons de 1578 ne sont pas destinés à la Chambre des comptes de Bre- tagne, mais à la Ville de Nantes. De facto, il faut les retirer de la série des jetons de la Chambre des comptes de Bretagne pour les reclasser tout au début de ceux attribués à la Ville de Nantes. Pourquoi la Ville de Nantes décide-t-elle de se doter de jetons réalisés grâce au réemploi des coins de ceux de la Chambre des comptes de Bretagne ? À cette période, la Ville de Nantes est une institution récente encore en pleine structuration. En effet, celle-ci a été instituée en 1559 par lettres patentes du roi. Toutefois, les Nantaises et les Nantais n’auront une véritable mairie, avec maire et éche- vins élus, qu’en 1564. Selon les usages de l’époque, pour assurer sa comptabilité, qui relève de l’administration publique, il lui faut nécessairement des jetons 3 . C’est pourquoi on a trace dans les archives d’une première commande de jetons par la Ville de Nantes dès 1568. Malheureusement, le document ne donne aucune des- cription de ces jetons qui apparaissent parmi d’autres menues nécessités, chandelles, tapis, encre, plumes 4 . Paul Soullard (1839- 1930), numismate de la Société archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure 5 , a émis l’hypothèse que ces jetons de- vaient probablement porter les armoiries municipales, comme ceux émis en 1582. Or, le document de 1578 incite à penser que les jetons commandés dix ans plus tôt par la Ville ne sont pas décorés de son blason. Il est même probable que ces pre- miers jetons soient d’un type ordinaire, dont l’acquisition est 3 Gildas Salaün, « Savez-vous compter les sous ? », Monnaie magazine , n° 198, juin 2017, p. 38-41. Consultable sous ce lien : https://www.monnaie- magazine.com/savez-vous-compter-les-sous/ 4 Archives Municipales de Nantes BB 129. 5 Gildas Salaün, « Paul Soullard (1839-1930), numismate et sigillographe nantais », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest , n° 118-3, 2011, p. 335- 345. Consultable sous ce lien : http://journals.openedition.org/abpo/ pdf/2074 RÉATTRIBUTION À LA VILLE DE NANTES DES JETONS DE COMPTES MILLÉSIMÉS 1578

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